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<title>ravages - Lexique : appel d'air</title>
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<h2 class="entry-title">Lexique : appel d'air </h2>
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<h3>Définition</h3>
<p><em>Appel dair</em> : théorie fumeuse selon laquelle lamélioration des conditions de vie pour les immigré·es dans un endroit donné (à léchelle dun continent, dun pays, dune région ou même dune ville) donnerait lieu à un plus grand afflux dimmigré·es vers cet endroit.</p>
<h3>Historique</h3>
<p>Cest au début des années 1980 que « lappel dair » fait en France ses premiers pas. Claude Cheysson, alors ministre des relations extérieures, multiplie les apparitions publiques avec sa pipe et son air farouche pour exprimer sa gratitude envers les travailleur·euses immigré·es Algérien·nes. Claude évoque même, lors dun voyage en Algérie en été 1981, sa volonté doctroyer le droit de vote aux immigré·es en situation régulière en France pour les élections municipales. Cen est trop pour lopposition de droite, qui accuse alors ce brave Claude daller pêcher des voix chez les étrangèr·es. Et pour Jean-Marie Le Pen, qui, à peine sorti de lindifférence médiatique dans laquelle il végétait depuis plus de dix ans, crie à la « défrancisation de la France ». Le droit de vote aux étranger·es, dit-il, voilà le plus sûr moyen dattirer plus détranger·res. Deux bouquins racistes plus tard (Réponses à limmigration : la préférence nationale et Les immigrés: le choc, tous les deux publiés en 1984) et on y est : il faut réformer le droit social pour arrêter « lappel dair ».</p>
<p><img alt="Portrait de Claude Cheysson" src="../images/cheysson.png"></p>
<p>Au cours des décennies suivantes, « lappel dair » fait son petit bout de chemin. On lentend surtout dans les bouches tordues des droitards qui fulminent contre les allocations familiales, lassurance chômage, les minima sociaux, le système de santé; tout ce qui de près ou de loin pourrait bénéficier aux immigré·es en situation régulière. Et lidée finit par faire son trou. Au début des années 2000, cest autour du camp de Sangatte dans le Pas-de-Calais que gravitent les conspirateur·ices de lappel dair. Inauguré en septembre 1999, le camp de Sangatte (géré par la Croix Rouge) accueillait jusquà sa fermeture en décembre 2002 par Sarkozy les personnes désireuses de se rendre outre-Manche. « Nous mettons fin à un symbole dappel dair de limmigration clandestine dans le monde » déclarait Sarkozy au JT de TF1 en décembre 2002. </p>
<p>Mais cest pendant la soi-disant crise migratoire de 2015 que lappel dair sincruste véritablement à la télé, dans les journaux, à la radio, ou dans des repas de famille qui auraient vraiment pu sen passer. Laide médicale dÉtat, les aides au logement, mais aussi les opérations de sauvetage en mer et les mouvements de solidarité aux frontières sont pointées du doigt par la droite et lextrême droite comme encourageant les candidat·es au départ, et leur arrivée, à terme, en France. Lappel dair devient un fourre-tout : cest la carte un peu usée que la droite ressort chaque fois quelle veut entraver une politique sociale sous prétexte quelle pourrait aussi bénéficier aux étrangers. En 2018, le Rassemblement National (anciennement Front National) proposait par exemple darrêter la construction de logements HLM neufs, qui favoriserait limmigration clandestine. « Dans certains quartiers, alors que des logements sortent à peine de terre, des messages partent à létranger pour faire venir des futurs habitants », peut-on lire dans le « Plan Le Pen pour les banlieues ».</p>
<h3>Postulats cyniques de base</h3>
<p>La pseudo-théorie de lappel dair situe les causes profondes de limmigration dans le pouvoir dattraction de nos structures sociales. En gros, si tant de gens quittent leur pays pour venir chez nous, cest parce que nous sommes belles et bon· nes et libres et loyales comme autant de Clint Eastwoods à contre-jour sur des chevaux blancs. Et plus nous sommes généreux·ses et sympathiques, et plus iels viendront nombreux·ses. Pourtant, il serait bon de reconnaître que notre richesse est basée sur lusurpation, lexpropriation, le pillage et le contrôle des ressources dautrui. Ou que la pauvreté dune très grande partie du monde est la conséquence directe de nos politiques coloniales et post-coloniales. Ou encore que les bouleversements climatiques qui frappent plus violemment les pays les plus fragiles sont une conséquence prévisible dun modèle de croissance occidental, que nous avons imposé à coups de guerres, doccupations, de diplomatie véreuse et de plans de développement à la noix.</p>
<p>La théorie de lappel dair fantasme aussi les émigré·es comme des calculateur·ices averti·es. On les imaginerait presque devant leur cheminée pétillante au Bengladesh ou au Soudan, en train de comparer les modèles sociaux en Europe, avant de boucler leurs valises et de se lancer dans la joyeuse aventure de lexil. Un peu comme des étudiant·es Erasmus qui choisiraient la destination de leur séjour à létranger en fonction des possibilités de carrière future ou de la qualité de la bouffe locale. Cest à la fois cynique et grotesque doublier quune très grande partie de la population émigrée quitte son pays sans en avoir vraiment le choix, pour fuir la guerre, la misère ou labsence davenir. Et même si ce nétait pas le cas, gardons en tête linjustice qui permet aux citoyen·nes européennes et nord-américaines de voyager quasiment partout dans le monde, moyennant quelques dizaines deuros ou de dollars, tandis que, pour dautres, le voyage à létranger nest accessible que de manière illégale, avec tout ce que cela comporte en termes de coûts et de prises de risque.</p>
<p>Sans oublier que la défense des acquis sociaux et le devoir dhospitalité envers les immigré·es pauvres devraient appartenir au même camp idéologique de gauche, celui pour qui une paix sociale juste et durable sacquiert en réduisant jusquà labolition les inégalités sociales et économiques. Les classes moyennes et subalternes des pays riches devraient sunir avec les populations immigrées, dans une même lutte de classe contre les riches oppresseurs qui les poussent encore et toujours à ravager la planète pour sacheter un SUV et un pavillon couleur genou. Malheureusement, elles semblent plutôt enclines, les classes subalternes, à succomber à cette propagande raciste et ultra-libérale visant à mettre tout le monde les un·es contre les autres, selon la légende de la couverture trop courte.</p>
<p><img alt="Photo d'un camion floqué d'une pub anti-immigration aux Royaume-Uni" src="../images/appeldair2.png"></p>
<h3>Conséquences générales</h3>
<p>Pour arrêter dattirer toujours plus de candidats à lexil avec nos tours HLM et nos APL il suffit de leur rendre la vie invivable. Cest ce que la préférence nationale tente daccomplir en différenciant lattribution de minima sociaux, par exemple, en fonction du critère de citoyenneté. Cest aussi ce que fait le renforcement des effectifs militaires et policiers le long des frontières intérieures et extérieures en Europe (en augmentant les risques liés à lémigration), ou autour des gares (en rendant plus probable les contrôles au faciès et les arrestations). En Angleterre, Theresa May annonçait dès 2012 lintroduction dune loi visant à créer « un environnement hostile pour les immigrés illégaux », en leur interdisant laccès au travail, au logement, aux services sociaux ou même louverture dun compte bancaire. Pendant lété 2013, des camions affrétés par le home office circulaient dans les quartiers populaires de Londres pour menacer dexpulsion les résident·es en situation irrégulière. </p>
<p>En 2014, le gouvernement Australien dépensait 23 millions de dollars dans une campagne publicitaire à destination du Sri Lanka, de lIrak et de lAfghanistan pour dissuader de potentiels émigré· es avec un message plutôt clair : « You will not make Australia home ». Le Danemark, la Norvège et la Belgique ont financé des campagnes similaires à destination de la Syrie et des réfugiés Syrien·nes au Liban. Cest une drôle de danse à laquelle se livrent les pays occidentaux dits « dimmigration » ; une course à linhospitalité visant à dissuader sinon le départ, au moins linstallation des étrangèr·es sur leur territoire, en sabotant leurs propres acquis sociaux, et en croisant les doigts très fort pour que leurs voisins européens ne sabotent pas encore plus les leurs.</p>
<p>Cest là que lappel dair apparaît comme une théorie non seulement dextrême droite, mais ultralibérale aussi<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>. « Leffort pour devenir le plus inattractifs possible, donc pour accueillir le plus mal possible », écrit Jérôme Lèbre, « ne trouve devant lui rien dimpossible. Il couvre le champ
entier du politique, guidé par lobjectif de la plus grande absence de solidarité interne ». En dautres termes, ce sont les systèmes de solidarité en général les aides sociales, la redistribution qui pâtissent des attaques ciblées contre les immigré·es, même si ceux-ci continuent dêtre les premiers affectés par les politiques de précarisation de la vie quotidienne.</p>
<h3>Conséquences locales</h3>
<p>Chez nous aussi, la théorie de lappel dair a des conséquences désastreuses. Elle favorise entre autres la militarisation des zones frontalières pour limiter larrivée des personnes exilées. A lété 2023, par exemple, les préfets des départements des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, ainsi que les maires de Nice et de Briançon, ont insisté auprès du Ministère de lIntérieur pour que se déploie chez eux une « Border Force » faite de renforts policiers, de collaboration entre services et de « moyens techniques supplémentaires », parmi lesquels des drones favorisant lidentification et la poursuite des personnes exilées qui traversent la frontière. Après la déclaration dÉlisabeth Borne en avril 2023 annonçant la mise en place de la Border Force dans le pays niçois, le sénateur des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, sest empressé de demander à Matignon sa part de renforts sécuritaires. « Jappelle la Première ministre à mieux ventiler les nouveaux effectifs sur lensemble de la frontière, notamment dans les territoires de montagne où les points de passage sont nombreux et où le relief impose une surveillance accrue » avait-il déclaré, réclamant par là des renforts matériels et humains à la PAF de Montgenèvre.</p>
<p>Ces surenchères sécuritaires ont doublement à voir avec la théorie de lappel dair. Dune part, les patrouilles militaires et policières, les refoulements illégaux, les pratiques de guet-apens, chasses à lhomme, rackets, violences et intimidations pratiquées par les forces de lordre le long de la frontière franco-italienne figurent comme autant de manières de dissuader les migrations par lhumiliation et la souffrance. Cest la logique du « moins on est accueillant, et moins on aura à accueillir ». La théorie de lappel dair légitime en cachette le renforcement des contrôles aux frontières terrestres et maritimes, la construction de murs (barbelés pour lEurope), la présence de militaires (comme si cétait la guerre). Dautre part, lidée selon laquelle plus de sécurité dans les Alpes-Maritimes favoriserait les traversées clandestines dans les Hautes-Alpes et vice versa montre que lappel dair fonctionne aussi au niveau régional : il faut être au moins aussi armé que nos départements voisins si lon veut sassurer de ne pas devenir un «couloir» par lequel les gens transitent et dans lequel ils risqueraient de sinstaller.</p>
<p>Mais lappel dair frappe aussi proche de nous et de nos idées, parmi les « solidaires » des zones frontalières qui mélangent hospitalité et contrôle<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup>. Sans vouloir en remettre un couche (et sattirer à nouveau les foudres de la gauche charitable), il est significatif que des structures daccueil en viennent à refuser de mieux accueillir, ou daccueillir plus (alors quelles en ont les moyens matériels) par crainte que de meilleures conditions daccueil ne mènent à une plus grande demande. « Si on accueille mieux, on devra accueillir plus, ou plus longtemps » se disent les gestionnaires de droite comme de gauche. On nest pas si loin des politiques dhostilité stratégique déployées par Theresa May ou dautres dirigeant·es de pays migraphobes.</p>
<p>Le but est de comprendre les ressorts qui nous mènent à justifier notre propre (in)hospitalité, et dendiguer si possible la prolifération du malhonnête appel dair. Si on naccueille pas, ou moins, cest peut être parce quon a ingéré de trop fortes doses de racisme ordinaire, ou quon a des préjugés sur les personnes racisées ou sans-papiers. Mais ce nest pas parce que notre grandeur desprit nous plongerait dans la folle spirale dune hospitalité infinie ; ni parce quen donnant un peu, on se retrouverait immanquablement à devoir donner plus.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Jérôme Lèbre, « Appel dair », attractivité libérale et inhospitalité absolue, Lignes 2019/3.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Voir notre article « La jauge du Refuge solidaire: laccueil inconditionnel conditionné » dans le Ravages n°1.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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<h2>Sommaire</h2>
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