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content/01/TADI_TAXI_OULA_SAROUKH.md Normal file → Executable file
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@ -2,6 +2,7 @@ Title: Tadi taxi oula saroukh ?
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 6 Weight: 6
Numero: 1
### _«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»[^1]_ ### _«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»[^1]_

3
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@ -3,7 +3,8 @@ Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
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Slug: breves Slug: breves
Special_CSS: breves2023 Special_CSS: breves_01
Numero: 1
du début jusquà ce que lon ait terminé de préparer ce numéro... du début jusquà ce que lon ait terminé de préparer ce numéro...

3
content/01/cartographie.md Normal file → Executable file
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@ -2,5 +2,6 @@ Title: Cartographie
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
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Numero: 1
![Cartographie](../images/carte1.jpg) ![Cartographie](../images/01/carte1.jpg)

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@ -1,8 +1,9 @@
Title: Edito Title: Edito
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Slug: index Weight: -1
Status: hidden Slug: edito_01
Numero: 1
Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat. Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.
@ -17,3 +18,6 @@ Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Li
Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon. Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.
[^1]: Cest pour rire... [^1]: Cest pour rire...
![](../images/01/couverture.jpg)

1
content/01/integration_a_coups_de_patates.md Normal file → Executable file
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@ -3,6 +3,7 @@ Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 3 Weight: 3
Small_images: True Small_images: True
Numero: 1
Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de jour comme de nuit. Dans le salon où nous nous sommes rencontrés il y avait P., de Côte dIvoire, R., du Burkina Faso et M., qui vient du Pakistan. On a parlé de leur vie en Ile de France, de leurs relations entre eux et de celles quils ont avec les éducateur.ices, depuis quils ont emménagé au foyer il y a quelques mois. Dans lentretien qui suit on parle surtout de nourriture : des repas préparés et partagés entre les quatre murs du foyer, de listes de courses qui se perdent, de sorties sous tutelle au supermarché du coin, dinterdictions, de contraintes, de lobstination de certain.es éducateur.ices à préparer des plats français, parce que cest important pour lintégration des jeunes, iels disent. Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de jour comme de nuit. Dans le salon où nous nous sommes rencontrés il y avait P., de Côte dIvoire, R., du Burkina Faso et M., qui vient du Pakistan. On a parlé de leur vie en Ile de France, de leurs relations entre eux et de celles quils ont avec les éducateur.ices, depuis quils ont emménagé au foyer il y a quelques mois. Dans lentretien qui suit on parle surtout de nourriture : des repas préparés et partagés entre les quatre murs du foyer, de listes de courses qui se perdent, de sorties sous tutelle au supermarché du coin, dinterdictions, de contraintes, de lobstination de certain.es éducateur.ices à préparer des plats français, parce que cest important pour lintégration des jeunes, iels disent.

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@ -2,6 +2,7 @@ Title: La jauge du Refuge solidaire : l'accueil inconditionnel conditionné
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 6 Weight: 6
Numero: 1
Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages. Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.

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content/01/lexique_frontiere.md Normal file → Executable file
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@ -2,6 +2,7 @@ Title: Lexique : frontière
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 1 Weight: 1
Numero: 1
Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que cest celle quon habite, quon connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris dun grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce quon y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées dEtat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles na rien dévident : cest le fruit dun processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit lEtat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence. Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que cest celle quon habite, quon connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris dun grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce quon y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées dEtat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles na rien dévident : cest le fruit dun processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit lEtat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence.

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content/01/refoulements_a_la_frontiere.md Normal file → Executable file
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@ -2,6 +2,7 @@ Title: Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dériv
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 4 Weight: 4
Numero: 1
LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui est alors devenue un véritable sous-traitant du droit à lasile, et procède depuis à laccueil des personnes qui arrivent sur son territoire. LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui est alors devenue un véritable sous-traitant du droit à lasile, et procède depuis à laccueil des personnes qui arrivent sur son territoire.

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content/01/remplacer_les_frontieres.md Normal file → Executable file
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@ -2,6 +2,7 @@ Title: Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imagina
Author: ravages Author: ravages
Date: 12/04/2023 Date: 12/04/2023
Weight: 2 Weight: 2
Numero: 1
Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie. Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.

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@ -0,0 +1,8 @@
Title: L'année 2024 vue d'ici
Author: ravages
Date: 10/11/2024
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Special_CSS: breves_02
Numero: 2

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@ -0,0 +1,92 @@
Title: Calais : ça existe le deuil solidaire ?
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 5
Numero: 2
_Voici une interview de deux bénévoles de Woodyard. On y apprend plein de choses, jojo et moins jojo. On y trouve beaucoup de questions et de doutes, notamment autour des choix que nous faisons pour nous engager, nous les blancs qui passons du temps sur les frontières et qui partageons pour un bref moment la vie des personnes de passage. La vie et parfois la mort aussi. Y a autant de possibilités que dindividus, alors si tu lis cet article, cest loccasion pour toi, comme pour Paule et Julien, de te demander : et moi, pour quoi je suis là ?_
![](../images/02/calais/bois2.jpg)
Javais envie de parler de Calais, javais envie de demander ce qui fait quon y passe du temps, dans ce nord tout gris en hiver, comment on sy engage. Javais envie de raconter une histoire personnelle qui sinscrit dans la grande histoire du racisme dÉtat et des violences institutionnelles, et puis surtout javais pas envie de vous rajouter un texte factuel accablant et déprimant à souhait… Pour bien se renseigner et avoir les dernières infos sur la situation précise à Calais, y a un tout dernier rapport de Humans Rights Observer[^1]. Ici, cest le témoignage de Julien et Paule, bénévoles au Woodyard à Calais, qui nous plonge dans un récit dengagement, de questionnements et de colère[^2]. Bon, cest quand même un peu accablant et déprimant, désolée.
Pour démarrer la conversation, jai simplement envie de savoir ce qui les amène à Calais. Julien se lance et me confie : « Avec mon ex-copine, on est parti il y a deux ans en quête dun changement. On a pris la route vers la Scandinavie pour travailler dans une ferme. Mais ça nétait pas ça. Ça clochait. Mon ex a dit «Je veux aller à Calais», et jai suivi ». Très vite elle est partie : « Elle a difficilement supporté le cumul entre les conditions de vie en coloc de bénévoles, lurgence permanente, et la dureté du terrain ». Il la comprend, mais reste. Il précise qu« elle nabandonne pas pour autant lenvie de lutter, et reprend ses études pour se spécialiser en droit des étrangers. Sa bataille, elle veut la mener sur le plan légal».
Ça nous fait parler des complémentarités des luttes. De qui fait quoi, et surtout de quelle énergie on a à certaines périodes de notre vie, à quoi on croit, comment on veut lutter.
Pour Julien, même sil na pas de « connaissance particulière du terrain, ça a fait sens de venir filer la main. » Il reste plusieurs mois en 2022 et revient en 2023.
Pour Paule, cest une toute autre histoire. Elle me raconte quelle a connu déjà plusieurs terrains, plusieurs lieux daccueil des personnes en exil, plusieurs assos différentes, en salariat et en bénévolat. Après un bénévolat en Serbie « sur une frontière lointaine, jai eu un pincement au cœur, je me suis dit que la prochaine fois jirai à Calais, mengager au plus près de chez moi ».
Quand elle dit ça je me pose la question : comment on choisit un terrain de lutte ? Pourquoi on est sur un lieu plutôt quun autre ? Pourquoi en France ou à létranger ? Jaime bien ces questions parce quelles forgent lhumilité : on a toustes plusieurs raisons de venir sengager sur un terrain, et si tu te poses la question, ça force à la nuance. Paule, les questions et les remises en question de la question, elle pratique constamment. Ça fait des nœuds dans le ventre et dans la tête, mais cest sa force. Cest le seul moyen « de ne jamais se laisser aller à devenir dominante, à sinstaller dans une position de sauveuse ».
Depuis, iels sont revenus. Bénévolement. Travailler beaucoup gratos. Iels y sont déjà depuis plus de 6 mois.
Iels ne savent pas si iels sont légitimes à me parler de Calais. « On a un point de vue orienté via notre pratique spécifique, notre vision a un biais ». Jaime bien cette sincérité, ça me donne encore plus envie de les écouter.
Cette année, Woodyard sera leur petite maison associative. Une maison symbolique, qui va guider leurs pas et leurs engagements, rythmer leurs journées, appliquer ses règles. Une maison du cœur où iels vont tenter de créer un climat doux, où on peut pleurer, crier de colère et réfléchir. Un réconfort dans un monde où dehors lhiver gronde dintempéries, de violences policières et de morts.
Le Woodyard achète du bois - environ 40 000 euros chaque automne/hiver, principalement des chutes de scieries - le coupe et le distribue partout où il y a besoin de se réchauffer un peu, de cuisiner. Il y a aussi dautres missions, comme la diffusion dinformation aux personnes exilées quon rencontre sur le terrain. Ou encore le fait dorienter vers dautres asso si on rencontre des mineur·es isolé·es, des familles ou des femmes qui ont des demandes spécifiques.
Pour Paule, « cest important de répondre à une nécessité primaire. Le plaidoyer, les observations, les animations en centre dhébergement, les accompagnements sociaux cest essentiel aussi, mais ça commençait sacrément à me gêner dans mon rapport aux personnes en exil. Là, jai limpression dêtre dans un rapport plus direct dans mon action. »
Julien enchaîne et plaisante : « Bon... il y a des gens qui disent que Woodyard, cest un peu laristocratie au sein des assos, car cest un des rôles les plus faciles, distribuer un bien qui ne crée pas de tensions, qui se partage ». Surtout que Woodyard a pour politique d«aller vers». Les bénévoles « ont le confort du cas par cas » car iels vont à la rencontre des personnes. Paule détaille : « tu peux ne pas donner de bois si les personnes nen veulent pas car iels se sont débrouillé·es autrement, ou à linverse en donner plus… Bon parfois ça merde, le bois est merdique et tout mouillé… »
Je minterroge. Cest ça alors la définition du confort à Calais ? Pouvoir écouter les besoins des gens et agir en fonction?
A priori oui, car « certain.e.s copaines dUtopia 56[^3] font des terreurs nocturnes à cause de leurs actions au quotidien. Le matériel manque, les conditions sont de plus en plus précaires, les camps sont démantelés tous les deux jours par les policiers. Iels sont pouss·ées à faire des choix impossibles : à qui donner une tente pour dormir, un pantalon sec, des chaussettes chaudes… ».
Les lieux de vie sont plus dispersés quavant et les personnes poussé·es dans des zones plus reculées. La mairie et la préfecture mettent en place une politique de «zéro point de fixation» en creusant des tranchées, en installant des rochers et en interdisant le stationnement dans certaines rues et zones que les associations utilisent au quotidien. La mairesse aime pourtant dire que la mairie de Calais « a fait tout ce qui était en son pouvoir » [^4]. La situation reste catastrophique. Dautant plus que Calais et tout le nord de lhexagone ont été balayés par des tempêtes et des inondations. Paule et Julien confirment « que depuis cette année, cest pire, y a des rochers et des grilles partout en centre ville pour empêcher toute installation sous les ponts ou proche des gares. Ça pousse les gens à séparpiller, à devenir invisible pour les locaux, et avec les conditions météo de cet hiver, le quotidien était vraiment rude ». Cest une méthode qui devient un classique des institutions publiques aux frontières, et ça marche : « y a moins dindignation, les Calaisien·nes shabituent. Ça dérange moins. Les cabanes de fortune sont détruites, le matériel de base confisqué, et on en vient de manière complètement incohérente et absurde à regretter le temps de la « Jungle de Calais », où il y avait une visibilité, une force commune, un point de rassemblement… On le sait pourtant, que certain·es des locaux restent concerné·es ! Pendant lhiver, un entrepôt Amazon[^5] a été réquisitionné pour stocker les dons et aides matérielles à destination des réfugié·es... Mais cétait seulement pour les personnes réfugiées ukrainiennes. On leur en veut pas bien sûr, à ces messieurs-dames-enfants qui fuient une guerre, mais la dimension clairement raciste du geste rajoute une couche à la colère ».
Iels ajoutent : « le pire, cette année, cest laugmentation du nombre de mort·es à la frontière, dans lindifférence quasi totale, ça fout la rage. Depuis le début de lautomne, on a la sensation que ça arrive toutes les semaines ». Ça fout les poils.
Dans le numéro un de Ravages, on avait terminé la revue par une carte des mort·es à la frontière franco-italienne haute, depuis 2018. Le Ravages a paru et cette liste funèbre a augmenté. Y a aujourdhui douze personnes décédées à la frontière franco-italienne du côté de Briançon. En 1999, Calais, la frontière française la plus gardée et militarisée, comptait déjà un premier mort « inconnu ». Souvrait alors une longue liste qui compte au moins 405 personnes. Ce nest quune estimation, basée sur les mort·es identifié·es ou retrouvé·es.
Depuis que Paule et Julien ont commencé leur bénévolat à Calais en octobre dernier, il y a eu 24 mort·es[^6].
Julien, cynique, me rappelle que « la police aime tweeter avec un enfant enveloppé dans une couverture de survie, en disant «ici nous sauvons des vies» »[^7]. Mais chaque semaine, ils en ôtent aussi. « La militarisation de la frontière, les politiques racistes, voilà ce qui tue » rappelle Paule. Le préfet, le maire, le flic, le Président de la République, de la Commission Européenne, les hommes et femmes qui travaillent chez Frontex - cest eux qui tuent, même si cest indirect. La question de la responsabilité pénale se pose. Les personnes qui sont contraintes de traverser des autoroutes la nuit, de se cacher encore plus longtemps, de sépuiser, de faire des trajets en bateau toujours plus longs, cest bien parce quil y a des flics, des drones, des caméras, des barbelés… Calais, cest la plus grande concentration de flics par habitant en France. ».
Plus les années avancent, plus les mort·es se dispersent sur la côte et dans les terres[^8]. Entre linterview début avril et la relecture du texte le 12 du même mois, je regarde à nouveau la liste: il y a deux nouvelles personnes.
Silence.
Alors quoi ? Comment on gère linsupportable ? La débrouille…comme dhabitude. Sorganiser un minimum.
Dabord, une commémoration systématique le lendemain de chaque décès, un moment de recueillement : une minute de silence, un micro ouvert, un nom ou plusieurs dits à haute voix. Des morts quon ne connaît pas, mais quon ne veut pas oublier. Pas cacher. Pas facile de porter un deuil dans ces conditions. La peur, den faire trop ou pas assez, de mécaniser la réaction, de pas sendeuiller assez, de ne pas avoir la légitimité de commémorer des morts sans leurs proches.
Un groupe «Décès» a été créé[^9]. Un groupe de travail qui sactive à chaque personne disparue…Quand un message funeste arrive, se met en place une recherche pour tenter didentifier le corps, faire le lien avec des ami·es, de la famille. Le groupe Décès lance des collectes de fonds pour les funérailles des personnes décédées, pour leur éviter un enterrement au « carré des indigents »[^10] dans lindifférence la plus arrangeante. Il y a aussi la possibilité de demander le rapatriement du corps ou daccompagner les familles des personnes décédées lors de lidentification du ou des corps à la morgue.
Paule, la mort, elle la pas mal côtoyée dans sa famille, elle sait que vite le cerveau humain se met à renvoyer de lénergie, pour continuer davancer. « Tu es au taf, entre deux trucs, et ton tel vibre, cest le message qui te fout la boule au ventre. Pendant quelques minutes tu sais plus comment reprendre ta tâche en cours. Et puis tu la reprends comme un réflexe, parce quil y a tous les autres, les vivants». Elle dit, avec une honnêteté déchirante, que « parfois tu es à la commémoration, tu ressens rien, tu es vide, mais debout le regard droit, alors tu serres dans tes bras lami·e qui ce jour craque ». La semaine suivante, Paule sait que les rôles sinverseront.
Je me dis intérieurement : cest quoi les étapes dun deuil pour des gens quon connaît pas ? Ça existe le deuil solidaire ? Cest pas bizarre un peu ? Ça serait comme un deuil empathique, un deuil de rage ?
Paule et Julien me disent quiels ont été à des enterrements en ce début dannée. Je reste un peu sans voix, ça remet une couche de questions : ça laisse quoi comme traces, denterrer un·e inconnu·e ? Ça veut dire quoi dassocier son militantisme à un acte si intime, si privé ? Bon, je demande : pourquoi vous y êtes allé·es ?
La réponse ne peut pas être plus simple, la plus logique de toute, « parce que les proches de la personne décédée lont demandé ». Ça ne vient pas delleux, ce nest pas à elleux de décider ça. Cest une demande.
Cest un geste pour honorer une demande. Pour la petite fille de 7 ans décédée le 3 mars dernier suite au naufrage dune embarcation sur le canal de lAa à Waten, Paule mexplique que « la famille a demandé à ce quil y ait du monde à lenterrement ».
Iels y sont allé.es. Aller accompagner la perte dun enfant. On est bien loin de la mission distribution du bois. Mais au final pas si loin de la logique : un besoin, une réponse. On peut imaginer que les conséquences psychologiques ne seront pas les mêmes.
Le père a pris la parole pendant la cérémonie et a remercié celles et ceux qui sont venu·es. « Merci à tous dêtre venus aujourdhui, vous faites partie de notre famille maintenant ».
Paule et Julien me racontent enfin que le dernier truc lourd quiels aient eu à vivre à Calais, cest pour un jeune homme mort en mars aussi. « Des personnes sont venues vers nous pendant une distribution de bois, pour nous dire quelque chose sur un de leurs amis. On na pas bien compris sur le moment, on a fini notre distribution et on est revenu·es les voir. Là, on a pris le temps et on a compris : «notre ami est tombé à leau, on ne sait pas où il est». On a averti le coordo et le groupe Décès. Tout le réseau sest mis en mouvement. Par message, on a eu la confirmation quune personne avait disparu, on a reçu sa photo. Et on a dû la montrer à ses amis… »
Paule poursuit : « quand jai reçu la photo sur mon téléphone, que jai vu un visage, cétait vraiment plus dur quune commémoration. Fallait affronter linquiétude des proches, leur montrer la photo, leur laisser nous confirmer quon parlait de la même personne. Ça nous a sonné ».
Je me dis quil y a de quoi. Julien précise : « pour la première fois je suis sorti de la vision politique, pour aller dans lintimité dun proche en souffrance. On se raccroche à lidée que cest important de dire leur nom, de dire une autre vérité. Heureusement quil y a le groupe Décès, car le pire du pire serait que vraiment personne nen ait rien à foutre. Le corps du jeune homme a été retrouvé une semaine après sa disparition, dans un canal, alors que la police cherchait un blanc disparu».
Pour faire face à ça, « on na pas encore trop doutils, on sauto-forme. Au sein de la coloc de Woodyard, on essaie de se parler, de laisser la sensibilité de chacun·e sexprimer, daccepter de pleurer».
Paule et Julien, merci.
[^1]: Dernier rapport du HRO sur les violences policières à Calais :https://www.auposte.fr/exiles-a-calais-quand-letat-fait-le-pari-de-la-violence-le-rapport-qui-accable/
[^2]: Pour voir le détail du programme de Woordyard : https://lauberge-desmigrants.fr/fr/nos-actions/pro-ject-woodyard/
[^3]: « Depuis le démantèlement de la jungle de Calais en 2016, des personnes exilées continuent de tenter de se rendre en Angleterre et sont bloquées à Calais. Une équipe Utopia 56 est présente depuis 2015 à Calais pour leur apporter une aide matérielle durgence et dénoncer les violations de droits humains et violences policières. » - https://utopia56.org/calais/
[^4]: Déclaration pendant un conseil municipal début avril de la mairesse de Calais.
[^5]: Ça aussi ça la fout mal, mais bon, cest encore un autre sujet à distribution de claques.
[^6]: Larticle est rédigé début avril 2024
[^7]: Tweet du 27 mars 2024 de la préfecture des hauts de France et du Nord #SoutienAuxFSI «Chaque jour et dans des conditions difficiles, les policiers et gendarmes sauvent des vies en luttant contre les traversées maritimes. Les services de lÉtat sont et resteront entièrement mobilisés contre les réseaux criminels de passeurs. Nous ne lâcherons rien.» - https://twitter.com/prefet59/status/1773062291711316209
[^8]: « La carte chronologique de ces «cold cases» permet dénoncer une cruelle vérité : à mesure que la frontière sest militarisée, les exilé·es nont pas moins essayé de franchir les 50 kilomètres qui séparent la France de lAngleterre, mais iels ont usé de modalités plus risquées et souvent plus lointaines : dabord les navires, ensuite le site Eurotunnel, puis les aires de repos en amont de Calais, la rocade menant au port, la Belgique… pour aboutir aujourdhui aux tentatives par la mer. Depuis 1986 et le traité de Canterbury, dengagements en accords bilatéraux, Calais se bunkerise (barrières, barbelés, vidéosurveillance, effectifs de police et de gendarmerie en hausse, patrouilles à cheval, en quad, à moto ou 4x4, drones, etc.) et les morts sajoutent aux morts.» -https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep1-memorial/
[^9]: Ici tu peux donner des sous au groupe décès ! https://laubergedesmigrants.fr/fr/support/groupe-deces/
[^10]: Terme plus politiquement correct pour dire fosse commune. Caveau sans pierre tombale, sans ornements...

24
content/02/edito_02.md Normal file
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@ -0,0 +1,24 @@
Title: Edito
Author: ravages
Date: 12/04/2023
Weight: -1
Slug: edito_02
Numero: 2
### L'inexorable montée du fascisme des années '20 (du XXIe siècle)
> « Quand il s'approchait de la frontière et qu'il a vu les tricornes de la Guardia Civil, mon père a découvert, parce que la réalité se construit avec des symboles, qu'il n'avait pas trouvé la liberté, loin de là, mais que pendant quelques semaines il s'était échappé de l'immense prison qu'était l'Espagne franquiste ».
Cette citation, tiré d'un chouette bouquin* de Paco Ignacio Taibo II, parle de l'année 1957, pendant laquelle le père de l'auteur avait suivi le Tour de France en tant que journaliste. Il s'apprêtait, au moment évoqué ici, à rentrer dans son pays, où la dictature sévissait depuis presque vingt ans.
En lisant cette phrases, nous avons eu un drôle de frisson, et l'impression que, depuis quelques temps, il nous arrive quelque chose de comparable, à nous, les habitant.es du Briançonnais, quand on revient à nos belles montagnes tout près de la frontière, après un petit tour ailleurs.
C'était rien qu'un picotement au début. La sensation s'éveillait à partir de détails presque anodins, par exemple quand, en feuilletant le programme de cinéma d'une autre ville, on découvrait des films qui parlaient de la frontière et qui n'allaient pas être projetés dans les salles de chez nous, sans aucune explication ni officieuse ni officielle (voir les Brèves). Ou encore quand, après avoir été en visite chez des ami.es en d'autres villes de France, on s'est rendu compte qu'on commençait à oublier à quel point c'est agréable de passer la porte d'un café associatif, parce qu'à Briançon il n'y en a plus depuis longtemps, depuis entre autres que la mairie a pris pour habitude de préempter les locaux en vente, dès qu'elle soupçonne les gauchistes du coin de vouloir en faire un fief de fauteurs de trouble.
La chose s'est faite un peu moins frivole quand on a réalisé que, dans notre grande et lumineuse médiathèque, les bibliothécaires ne se sentent pas tout à fait libres de commander et de proposer les ouvrages qu'iels souhaitent, par crainte des représailles d'un minable de maire qui se prend pour le shérif de Nottingham (ou pour un hiérarque fasciste). Mais la gorge a commencé à sèchement se serrer quand on a appris que, dans le lycée de Briançon, le proviseur avait été sommé par la sous-préfecture d'annuler une rencontre autour du thème de l'immigration, qui pourtant avait été demandée par les élèves (voir les Brèves). Et on a vraiment du mal à respirer, ces derniers temps, à la vue de toutes ces voitures de la police nationale qui rôdent dans la ville, parce qu'on commence à avoir vraiment trop d'ami.es qui se sont faites arrêter, insulter, maltraiter, parfois diriger vers un CRA, sans autres raisons que la couleur de leur peau, ou le fait d'avoir réagi à la violence insensée d'une interpellation (voir les Brèves).
Nous constatons, dans notre petite ville de frontière, que la situation empire sans cesse depuis l'élection en 2020 d'un maire de droite dont le plus grand rêve est d'être invité chez Cyril Hanouna (pardonnez-nous la vulgarité de ces propos). Mais tout s'accélère dans le mauvais sens depuis l'extrémisation droitière du deuxième mandat macronien. Et cette descente aux enfers risque de s'étendre à tout le pays, avec la montée en puissance des partis fascistes aux élections européennes et aux législatives anticipées de 2024. Sans oublier une Union Européenne qui repousse les limites du droit, pour consolider des frontières meurtrières et des pratiques juridiques excluantes.
C'est un peu de cela que nous parlons, dans les pages qui suivent. Une chute drôle serait bien la bienvenue là, une lueur même évanescente d'optimisme. Mais non.
_Merci aux contributeur·rices de ce 2ème numéro : Mody Bic, Vrrhngt, Plume, Biche, Ptitpois, FleurBleue, Le race salta fosso, sussurrimi, gravier, Legrosmulot, Dayion._
![](../images/02/Couv.jpg)

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Title: Est-ce que tu m'aimes vraiment
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 2
Numero: 2
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_Tiens, tiens, en voilà un drôle darticle. Lamour ? Mais cest quoi le rapport avec les frontières ? Lamour cest unique, cest intime, ça ne concerne que celleux qui saiment et personne dautre, ça flotte allègrement au-dessus des inégalités de pouvoir, cest le rempart et la solution à la haine, la violence, lignorance… non ? Et bien non, grande patate ! Le sentiment amoureux est le produit dhistoires sociales et sentimentales particulières[^1]. Les manières daimer, de désirer, de sattacher et de se séparer ne sont pas universelles mais varient selon tout un tas dinfluences, comme lâge, le genre, la classe, ou la nationalité. Parmi ces influences il y a aussi la loi. En France, le droit des étrangers et le droit administratif régissent laccès des personnes étrangères aux titres de séjour lorsquelles sont dans des relations amoureuses avec des citoyen·nes français·es. Les personnes dans des relations mixtes (un·e citoyen·ne et lautre pas) doivent fournir des preuves de leur amour et de leur vie commune à ladministration pour espérer accéder à la légalité. Alors certes, collectionner les factures EDF et les photos de vacances pour pouvoir les montrer au préfet nest pas ce quil y a de plus romantique, et pourtant de nombreux couples mixtes se retrouvent chaque année à devoir justifier leur amour, sous la menace de lÉtat qui se fait juge de lintime et des sentiments._
_Alors à quoi ça ressemble, lamour avec lÉtat au milieu ? Comment est-ce que la quête de régularisation infuse le quotidien des couples mixtes ? Et comment les preuves administratives dans les relations mixtes peuvent-elles contribuer à reproduire un amour genré, toxique, et cumulant dépendances affective et administrative ?_
_Cet article est une discussion entre trois femmes cis blanches (quon a poétiquement nommées B, C, D) qui relationnent ou ont relationné avec des hommes sans papiers, pour mieux comprendre les questions de domination qui se jouent dans les relations amoureuses mixtes hétérosexuelles. Plus particulièrement, on sest demandé quelles étaient les conséquences intimes du gouvernement des sans-papiers par la menace[^2]. Dans les entretiens qui suivent, plusieurs femmes évoquent les attachements contradictoires que ces obligations réelles ou anticipées font peser ou ont fait peser sur leurs relations amoureuses avec des hommes sans-papiers. Elles parlent de culpabilité blanche, de racisme ordinaire et de domination masculine. En tant quexpériences intimes de lingérence étatique, les relations mixtes nous invitent à questionner les manières dont lÉtat transforme lintime et érige des limites entre les amours acceptables et les inacceptables._
_On a voulu collecter les témoignages de personnes sans-papiers dans des relations mixtes aussi, mais ça ne sest pas fait. Parce que nos réseaux sont surtout féminins, surtout blancs (quon se le dise), et parce que les copains ou ex-copains racisés de nos amies considèrent quils sont déjà assez scrutés dans leur couple pour en parler publiquement ici : leur perspective sur ce que ça fait dêtre en trouple avec lÉtat napparaît donc pas dans cet article. Ça nous a fait douter. On sest dit que cétait moyen de publier un article sur les couples mixtes en sappuyant uniquement sur lexpérience de nos amies blanches. En même temps, ya pas beaucoup de textes autour de nous qui parlent de relations mixtes entre militant·es blanc·hes et sans-papiers. Ça nous paraissait important de publier le peu de témoignages quon avait, aussi partiels et partiaux soient-ils. Cest un début, donc. Et qui sait ? Peut-être quà cette première lecture saggloméreront bientôt les témoignages dautres personnes concernées qui ne se sentent pas, ou peu, représentées ici._
![](../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL1.JPG)
**C :** Cétait une histoire très brève. On sest vus quelques mois et ça sest arrêté, parce que cétait trop prise de tête. Il y avait trop de décalage entre nous. Cest une personne qui pouvait dire « je taime » très vite, faire des grandes déclarations, et moi je ne suis pas habituée. Ça mavait séduite au début, ce côté sécurité affective que je navais pas trouvé dans dautres relations. Demblée cest rassurant quand on te dit « je taime » ou quand la personne en face de toi est prête à sengager, alors quelle te connaît à peine. Je lai rencontré au refuge[^3] où il était accueilli. Il était en situation dinfériorité par rapport à moi parce quil navait pas de papiers, et pour moi cétait compliqué de mettre des limites à ses déclarations parce que je me sentais coupable. Je me disais : cette personne est dans une situation de merde et je me sens obligée de répondre à ses attentes. Javais conscience de mes privilèges et je navais pas envie den jouer, mais cétait compliqué. Je me suis laissée embarquer dans cette culpabilité et ça ma dépassée. Jai préféré arrêter la relation avant que ça aille plus loin.
**D :** Comment ça sest passé la séparation ?
**C :** Jai eu du mal à mettre fin à la relation, parce que cette personne ne comprenait pas que je ne voulais plus dune relation amoureuse, mais que je voulais garder notre relation amicale. Il est revenu à la charge souvent. Il ne respectait pas mes limites. Peut-être que je nétais pas assez claire, en tout cas on a fini par ne plus se parler du tout, parce que ça ne fonctionnait pas. Aujourdhui je me dis quon était dans une relation daide qui prenait beaucoup de place, dès le début. Administrativement pour lui cétait compliqué, donc moi je lui expliquais plein de choses, et ça ma épuisée. Cétait dur parce que javais limpression de laisser cette personne dans la merde, alors quelle avait dautres personnes-ressources, mais je culpabilisais quand même.
**D :** Il ta déjà fait des reproches par rapport à ça ?
**C :** Non, jamais. Cest moi qui minvestissais dune mission. Lui, il me demandait des trucs mais sans vouloir être une charge. Moi jallais au-devant de ses demandes. Jétais dans une logique de sauveuse. Lautre chose compliquée cest quon vivait à Briançon. Cest tout petit comme ville, et moi je ne voulais pas que notre relation se sache, alors on se voyait dans des endroits où jétais sûre de ne croiser personne. Javais peur du regard des gens parce que jétais moi-même pas sûre de cette relation, ou de pourquoi jétais dedans. Javais tellement de questions dans la tête que je navais pas envie davoir en plus des regards extérieurs dessus. Cétait trop tôt. Cétait pesant au quotidien. Je navais pas le courage.
**D :** Et tu penses que sans ces questions administratives taurais pu rester dans cette relation ?
![](../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL2.JPG)
**C :** Je pense, oui. Je me suis clairement dit : jai la flemme de membarquer là-dedans. Jai arrêté cette relation parce que jai déjà eu pas mal dhistoires compliquées avant, et javais plus le courage de recommencer. Cest une question dusure. Je me suis dit non, plus de lourdeur pour moi. Peut-être que sil ny avait pas eu de différence de statut entre nous ça aurait été plus léger et je me serais sentie daller plus loin, mais là ça me paraissait trop. Trop de problèmes trop tôt. Mais du coup je me demande comment ça marche pour les relations mixtes qui tiennent dans le temps. Comment vous avez fait vous au début, et comment vous faites maintenant ?
B: Moi je suis encore dans une relation mixte. On sest rencontré à Briançon. Il vivait là depuis longtemps quand je suis arrivée, il avait un lieu de vie, il avait son espace à lui, il ne venait pas de traverser la frontière, je pense que ça a aidé au début. Puis est venue la question de la régularisation et du PACS. Mélanger la question des papiers à lamour, cest compliqué. Est-ce que le PACS, cest juste une formalité administrative ? Ou une preuve damour ? Les deux se mélangent toujours. Au début, je pensais pouvoir dissocier le couple administratif et le couple amoureux, mais en pratique, ça ne fonctionne pas, en tout cas pas pour moi. Le problème avec le fait de commencer une procédure de régularisation, cest quil faut se projeter dans un engagement de plusieurs années. Cest-à-dire quil faut dabord prouver un an de vie commune, et la personne peut accéder à un titre de séjour dun an. Mais ce titre de séjour ne sera renouvelé que sil y a encore vie commune. Puis il aura un titre de séjour de deux ans, renouvelé sil y a vie commune. Et normalement, au bout de ces trois ans, il a un titre de séjour pluriannuel, de cinq ans, si tout va bien. Donc il faut se projeter sur au moins trois ans, voire plus. Ce qui est compliqué, cest de se dire que si jamais tu tengueules, si jamais tu ne peux même plus être ami·e avec la personne et que tu la quittes, alors il naura pas son renouvellement de titre de séjour. Et cela ajoute une autre dimension à la rupture. À Briançon jai rencontré une personne qui sétait mariée avec un gars sans-papiers qui avait eu ses papiers, et elle disait que dans ce genre de relations il y avait toujours au moins deux formes de domination : la domination des blanches sur les sans-papiers et la domination des hommes sur les femmes. Et donc chaque fois quon parle de culpabilité blanche, il y a aussi la question de lhétérosexualité et des structures patriarcales. Est-ce que je me sens coupable parce que je suis blanche ou parce que je suis une meuf ? Les deux. Mais si je refuse de me plier à tes demandes en tant que meuf, cest aussi une forme de domination.
**C :** Oui, à cette question de culpabilité blanche se mêle aussi une culpabilité très genrée, celle dune meuf. On se remet en question constamment, on va toujours au-devant des besoins de lautre, on na pas envie que la personne se sente mal.
![](../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL3.JPG)
B: Oui cest sans fin. Alors si les relations hétéros sont déjà prises de tête de base, cest sûr que relationner avec une personne sans-papiers ça rajoute des complications, et ça enlève beaucoup de légèreté. Il faut compter la soixantième facture en essayant de laisser un peu de place au romantisme. Dans mon couple, jai limpression quon aborde beaucoup ces questions. Peut être même quon les a trop abordées dès le début et que cétait vraiment lourd pour tous les deux. On a eu limpression que cétait impossible. Et puis la question des papiers, ça instaure aussi un doute permanent. Est-ce quil est avec moi pour avoir ses papiers ou est-ce quil maime vraiment ? En fait Z dans notre couple il est doublement surveillé : par ladministration et par moi, qui lui demande des preuves damour. Et ça je lai réalisé sur le tard, mais je sais que mes questionnements sur sa sincérité, sur son engagement, ça a été hyper dur à vivre pour lui. En même temps jaurais été naïve de ne pas me poser la question. Parce que ça existe, les mecs qui séduisent des femmes blanches pour les papiers. Et en même temps, il y avait de la méfiance par rapport à mes intentions à moi aussi. Il avait peur que je lutilise comme une caution militante. La méfiance, du coup, elle vient des deux côtés. Sauf que pour la personne sans les bons papiers dans le couple, la menace est triple : elle vient de ladministration (qui te demande des preuves de vie commune), de la personne avec qui tu relationnes (qui peut te larguer du jour au lendemain et te laisser dans une situation administrativement compliquée) et de son entourage, de sa famille et ses potes qui doutent parfois aussi de tes intentions. A tout ça se mélangent les différences de culture, de classe sociale, etc.
**D :** Cest trop chiant parce que cest la période du couple où tes censée pas te prendre la tête, où tes amoureux·se et tout va bien, et ça se transforme en mal-être permanent.
B : Oui, et puis ça te met des contraintes énormes aussi. Prouver la vie commune à lÉtat ça veut aussi dire que tu dois être un·e bon·ne citoyen·ne. Tu peux difficilement vivre en squat, tu paies ton loyer, tes factures, tu gardes le ticket de caisse quand tu vas faire tes courses, tu es dans une course aux preuves permanente... Il y a des collectifs qui nous aident pour constituer le dossier quon devra déposer à la préfecture. Une personne dans un collectif mexpliquait que pendant notre entretien à la préfecture, il ny a que moi qui aurai le droit de parler, et pas Z. Cest jamais létranger qui parle, toujours la personne française. Cest terrible, cest aussi se dire que la personne étrangère, qui a fait tout ce chemin, doit passer par une autre personne pour recevoir ses papiers. Ça peut créer un sentiment de redevabilité qui peut être très lourd. Et puis il y a un peu un truc de « tu auras tes papiers si tu arrives à séduire une meuf blanche, si tu es un partenaire exemplaire ». Il y a pas mal de films qui mettent en scène une meuf française qui tombe amoureuse dune personne qui a pas les bons papiers. Et cest toujours une meuf qui soit a perdu son mari, soit est en dépression. Et le mec sans les bons papiers, cest le seul qui arrive à séduire la meuf, et donc il aura ses papiers parce que cest un bon partenaire, un bon mari (et donc un bon candidat à la citoyenneté)[^4].
**D :** Au Planning Familial, jai rencontré un Nigérian sans-papiers qui vit en France depuis six ans. Il racontait quavoir une relation amoureuse avec une meuf blanche, cétait trop compliqué. Se mettre en couple avec une meuf blanche, pour lui, ça voulait dire se plier aux injonctions dintégration, se montrer en accord avec les valeurs de la République et tous les délires assimilationnistes jusque dans le quotidien, dans lintimité. Cest sadapter encore plus profondément à des façons de faire qui ne sont pas les siennes. En même temps il disait que les Nigérianes en France, elles ne sont pas intéressées par des relations amoureuses avec des mecs sans-papiers, parce que souvent ils nont pas beaucoup dargent, ils sont dans une situation précaire. Les Nigérianes qui viennent en France elles veulent autre chose. Du coup, pour eux, il ne reste plus grand-chose. Cest compliqué des deux côtés. Et beaucoup de personnes sans-papiers se retrouvent complètement en dehors des relations affectives et amoureuses hétérosexuelles.
![](../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL4.JPG)
[^1]: Voir nimporte quel ouvrage de la sociologue Eva Illouz ou de Mona Chollet sur lamour.
[^2]: Le gouvernement par la menace est une expression empruntée à Stefan Le Courant, dans son livre Vivre sous la menace : Les sans-papiers et lÉtat. Elle désigne lidée selon laquelle la peur de larrestation ou de la dénonciation, lhypervigilance et la conscience permanente du danger façonnent la vie des sans-papiers en France. Pour Le Courant, la menace « pousse à privilégier la solitude et la méfiance; elle transforme lenvironnement proche en un monde de signes potentiellement redoutables ».
[^3]: Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire pour les personnes exilées qui traversent la frontière franco-italienne, à Briançon.
[^4]: Voir par exemple Samba (2014) ou Ils sont vivants (2022).

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Title: Lexique : appel d'air
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 1
Numero: 2
### Définition
_Appel dair_ : théorie fumeuse selon laquelle lamélioration des conditions de vie pour les immigré·es dans un endroit donné (à léchelle dun continent, dun pays, dune région ou même dune ville) donnerait lieu à un plus grand afflux dimmigré·es vers cet endroit.
### Historique
Cest au début des années 1980 que « lappel dair » fait en France ses premiers pas. Claude Cheysson, alors ministre des relations extérieures, multiplie les apparitions publiques avec sa pipe et son air farouche pour exprimer sa gratitude envers les travailleur·euses immigré·es Algérien·nes. Claude évoque même, lors dun voyage en Algérie en été 1981, sa volonté doctroyer le droit de vote aux immigré·es en situation régulière en France pour les élections municipales. Cen est trop pour lopposition de droite, qui accuse alors ce brave Claude daller pêcher des voix chez les étrangèr·es. Et pour Jean-Marie Le Pen, qui, à peine sorti de lindifférence médiatique dans laquelle il végétait depuis plus de dix ans, crie à la « défrancisation de la France ». Le droit de vote aux étranger·es, dit-il, voilà le plus sûr moyen dattirer plus détranger·res. Deux bouquins racistes plus tard (Réponses à limmigration : la préférence nationale et Les immigrés: le choc, tous les deux publiés en 1984) et on y est : il faut réformer le droit social pour arrêter « lappel dair ».
![Portrait de Claude Cheysson](../images/cheysson.png)
Au cours des décennies suivantes, « lappel dair » fait son petit bout de chemin. On lentend surtout dans les bouches tordues des droitards qui fulminent contre les allocations familiales, lassurance chômage, les minima sociaux, le système de santé; tout ce qui de près ou de loin pourrait bénéficier aux immigré·es en situation régulière. Et lidée finit par faire son trou. Au début des années 2000, cest autour du camp de Sangatte dans le Pas-de-Calais que gravitent les conspirateur·ices de lappel dair. Inauguré en septembre 1999, le camp de Sangatte (géré par la Croix Rouge) accueillait jusquà sa fermeture en décembre 2002 par Sarkozy les personnes désireuses de se rendre outre-Manche. « Nous mettons fin à un symbole dappel dair de limmigration clandestine dans le monde » déclarait Sarkozy au JT de TF1 en décembre 2002.
Mais cest pendant la soi-disant crise migratoire de 2015 que lappel dair sincruste véritablement à la télé, dans les journaux, à la radio, ou dans des repas de famille qui auraient vraiment pu sen passer. Laide médicale dÉtat, les aides au logement, mais aussi les opérations de sauvetage en mer et les mouvements de solidarité aux frontières sont pointées du doigt par la droite et lextrême droite comme encourageant les candidat·es au départ, et leur arrivée, à terme, en France. Lappel dair devient un fourre-tout : cest la carte un peu usée que la droite ressort chaque fois quelle veut entraver une politique sociale sous prétexte quelle pourrait aussi bénéficier aux étrangers. En 2018, le Rassemblement National (anciennement Front National) proposait par exemple darrêter la construction de logements HLM neufs, qui favoriserait limmigration clandestine. « Dans certains quartiers, alors que des logements sortent à peine de terre, des messages partent à létranger pour faire venir des futurs habitants », peut-on lire dans le « Plan Le Pen pour les banlieues ».
### Postulats cyniques de base
La pseudo-théorie de lappel dair situe les causes profondes de limmigration dans le pouvoir dattraction de nos structures sociales. En gros, si tant de gens quittent leur pays pour venir chez nous, cest parce que nous sommes belles et bon· nes et libres et loyales comme autant de Clint Eastwoods à contre-jour sur des chevaux blancs. Et plus nous sommes généreux·ses et sympathiques, et plus iels viendront nombreux·ses. Pourtant, il serait bon de reconnaître que notre richesse est basée sur lusurpation, lexpropriation, le pillage et le contrôle des ressources dautrui. Ou que la pauvreté dune très grande partie du monde est la conséquence directe de nos politiques coloniales et post-coloniales. Ou encore que les bouleversements climatiques qui frappent plus violemment les pays les plus fragiles sont une conséquence prévisible dun modèle de croissance occidental, que nous avons imposé à coups de guerres, doccupations, de diplomatie véreuse et de plans de développement à la noix.
La théorie de lappel dair fantasme aussi les émigré·es comme des calculateur·ices averti·es. On les imaginerait presque devant leur cheminée pétillante au Bengladesh ou au Soudan, en train de comparer les modèles sociaux en Europe, avant de boucler leurs valises et de se lancer dans la joyeuse aventure de lexil. Un peu comme des étudiant·es Erasmus qui choisiraient la destination de leur séjour à létranger en fonction des possibilités de carrière future ou de la qualité de la bouffe locale. Cest à la fois cynique et grotesque doublier quune très grande partie de la population émigrée quitte son pays sans en avoir vraiment le choix, pour fuir la guerre, la misère ou labsence davenir. Et même si ce nétait pas le cas, gardons en tête linjustice qui permet aux citoyen·nes européennes et nord-américaines de voyager quasiment partout dans le monde, moyennant quelques dizaines deuros ou de dollars, tandis que, pour dautres, le voyage à létranger nest accessible que de manière illégale, avec tout ce que cela comporte en termes de coûts et de prises de risque.
Sans oublier que la défense des acquis sociaux et le devoir dhospitalité envers les immigré·es pauvres devraient appartenir au même camp idéologique de gauche, celui pour qui une paix sociale juste et durable sacquiert en réduisant jusquà labolition les inégalités sociales et économiques. Les classes moyennes et subalternes des pays riches devraient sunir avec les populations immigrées, dans une même lutte de classe contre les riches oppresseurs qui les poussent encore et toujours à ravager la planète pour sacheter un SUV et un pavillon couleur genou. Malheureusement, elles semblent plutôt enclines, les classes subalternes, à succomber à cette propagande raciste et ultra-libérale visant à mettre tout le monde les un·es contre les autres, selon la légende de la couverture trop courte.
![Photo d'un camion floqué d'une pub anti-immigration aux Royaume-Uni](../images/appeldair2.png)
### Conséquences générales
Pour arrêter dattirer toujours plus de candidats à lexil avec nos tours HLM et nos APL il suffit de leur rendre la vie invivable. Cest ce que la préférence nationale tente daccomplir en différenciant lattribution de minima sociaux, par exemple, en fonction du critère de citoyenneté. Cest aussi ce que fait le renforcement des effectifs militaires et policiers le long des frontières intérieures et extérieures en Europe (en augmentant les risques liés à lémigration), ou autour des gares (en rendant plus probable les contrôles au faciès et les arrestations). En Angleterre, Theresa May annonçait dès 2012 lintroduction dune loi visant à créer « un environnement hostile pour les immigrés illégaux », en leur interdisant laccès au travail, au logement, aux services sociaux ou même louverture dun compte bancaire. Pendant lété 2013, des camions affrétés par le home office circulaient dans les quartiers populaires de Londres pour menacer dexpulsion les résident·es en situation irrégulière.
En 2014, le gouvernement Australien dépensait 23 millions de dollars dans une campagne publicitaire à destination du Sri Lanka, de lIrak et de lAfghanistan pour dissuader de potentiels émigré· es avec un message plutôt clair : « You will not make Australia home ». Le Danemark, la Norvège et la Belgique ont financé des campagnes similaires à destination de la Syrie et des réfugiés Syrien·nes au Liban. Cest une drôle de danse à laquelle se livrent les pays occidentaux dits « dimmigration » ; une course à linhospitalité visant à dissuader sinon le départ, au moins linstallation des étrangèr·es sur leur territoire, en sabotant leurs propres acquis sociaux, et en croisant les doigts très fort pour que leurs voisins européens ne sabotent pas encore plus les leurs.
Cest là que lappel dair apparaît comme une théorie non seulement dextrême droite, mais ultralibérale aussi[^1]. « Leffort pour devenir le plus inattractifs possible, donc pour accueillir le plus mal possible », écrit Jérôme Lèbre, « ne trouve devant lui rien dimpossible. Il couvre le champ
entier du politique, guidé par lobjectif de la plus grande absence de solidarité interne ». En dautres termes, ce sont les systèmes de solidarité en général les aides sociales, la redistribution qui pâtissent des attaques ciblées contre les immigré·es, même si ceux-ci continuent dêtre les premiers affectés par les politiques de précarisation de la vie quotidienne.
### Conséquences locales
Chez nous aussi, la théorie de lappel dair a des conséquences désastreuses. Elle favorise entre autres la militarisation des zones frontalières pour limiter larrivée des personnes exilées. A lété 2023, par exemple, les préfets des départements des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, ainsi que les maires de Nice et de Briançon, ont insisté auprès du Ministère de lIntérieur pour que se déploie chez eux une « Border Force » faite de renforts policiers, de collaboration entre services et de « moyens techniques supplémentaires », parmi lesquels des drones favorisant lidentification et la poursuite des personnes exilées qui traversent la frontière. Après la déclaration dÉlisabeth Borne en avril 2023 annonçant la mise en place de la Border Force dans le pays niçois, le sénateur des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, sest empressé de demander à Matignon sa part de renforts sécuritaires. « Jappelle la Première ministre à mieux ventiler les nouveaux effectifs sur lensemble de la frontière, notamment dans les territoires de montagne où les points de passage sont nombreux et où le relief impose une surveillance accrue » avait-il déclaré, réclamant par là des renforts matériels et humains à la PAF de Montgenèvre.
Ces surenchères sécuritaires ont doublement à voir avec la théorie de lappel dair. Dune part, les patrouilles militaires et policières, les refoulements illégaux, les pratiques de guet-apens, chasses à lhomme, rackets, violences et intimidations pratiquées par les forces de lordre le long de la frontière franco-italienne figurent comme autant de manières de dissuader les migrations par lhumiliation et la souffrance. Cest la logique du « moins on est accueillant, et moins on aura à accueillir ». La théorie de lappel dair légitime en cachette le renforcement des contrôles aux frontières terrestres et maritimes, la construction de murs (barbelés pour lEurope), la présence de militaires (comme si cétait la guerre). Dautre part, lidée selon laquelle plus de sécurité dans les Alpes-Maritimes favoriserait les traversées clandestines dans les Hautes-Alpes et vice versa montre que lappel dair fonctionne aussi au niveau régional : il faut être au moins aussi armé que nos départements voisins si lon veut sassurer de ne pas devenir un «couloir» par lequel les gens transitent et dans lequel ils risqueraient de sinstaller.
Mais lappel dair frappe aussi proche de nous et de nos idées, parmi les « solidaires » des zones frontalières qui mélangent hospitalité et contrôle[^2]. Sans vouloir en remettre un couche (et sattirer à nouveau les foudres de la gauche charitable), il est significatif que des structures daccueil en viennent à refuser de mieux accueillir, ou daccueillir plus (alors quelles en ont les moyens matériels) par crainte que de meilleures conditions daccueil ne mènent à une plus grande demande. « Si on accueille mieux, on devra accueillir plus, ou plus longtemps » se disent les gestionnaires de droite comme de gauche. On nest pas si loin des politiques dhostilité stratégique déployées par Theresa May ou dautres dirigeant·es de pays migraphobes.
Le but est de comprendre les ressorts qui nous mènent à justifier notre propre (in)hospitalité, et dendiguer si possible la prolifération du malhonnête appel dair. Si on naccueille pas, ou moins, cest peut être parce quon a ingéré de trop fortes doses de racisme ordinaire, ou quon a des préjugés sur les personnes racisées ou sans-papiers. Mais ce nest pas parce que notre grandeur desprit nous plongerait dans la folle spirale dune hospitalité infinie ; ni parce quen donnant un peu, on se retrouverait immanquablement à devoir donner plus.
[^1]: Jérôme Lèbre, « Appel dair », attractivité libérale et inhospitalité absolue, Lignes 2019/3.
[^2]: Voir notre article « La jauge du Refuge solidaire: laccueil inconditionnel conditionné » dans le Ravages n°1.

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Title: Le Pado : carnet de bord
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 3
Numero: 2
![](../images/02/pado%20couv.jpg)
_Cest ouf un squat. Ça pue, ça craint, ça dépanne. Ça use et ça te sauve la vie. Ty as passé une semaine et tu dirais un an. Dans un squat tu pleures et tas peur. Tu dors, tu manges, tu troques ta doudoune. Tu décores ta chambre, tu danses, tu apprends des langues. Tu fumes. Tu te fâches à mort et tu tombes amoureux·se. Tu cours partout puis tout sarrête dun coup. Et tu glandes. Et tu tennuies. Et tu rigoles. Des mots très abstraits deviennent tellement concrets que ça fait mal, que ça fait du bien. Cest rageant et sidérant, ça te transforme. Des mots comme: répression, racisme, propriété. Insalubrité, faim, misère. Solidarité, amour, liberté._
_Tellement de choses débiles ont été dites sur le Pado, tellement de calomnies. Sauf que, pendant deux mois au moins, cétait le seul lieu à Briançon où les gens qui passent la frontière pouvaient sabriter et se reposer quelque temps, avant de repartir. Cétait au moment où le Refuge Solidaire avait fermé parce quil y avait trop de monde, parce que cétait trop dur, parce que cétait « à lÉtat de sen occuper ». Et, quand le Refuge a rouvert ses portes, le Pado pouvait accueillir celleux qui sont mis·es dehors au bout des trois jours réglementaires de l «accueil inconditionnel», celleux qui ont besoin dun peu plus de temps pour repartir, celleux qui ne savent pas où aller. Mais tout cela sest arrêté un 13/12[^1]._
_Tellement de calomnies. Après lexpulsion, les propriétaires du bâtiment ont été jusquà pleurer devant les journalistes de la télé. « Nous avons prêté notre maison aux migrants et regardez ce quils en ont fait ! ». Mais iels navaient rien prêté du tout. Iels venaient cracher sur nous pendant loccupation (vraiment !), quand on essayait de leur montrer à quoi ça servait, pourquoi, à qui. Iels nous ont coupé leau et lélectricité. Iels ont harcelé le maire et le préfet pour quils nous foutent dehors le plus rapidement possible. Et iels lont récupéré de force, leur bâtiment inutilisé depuis des années, leur bel investissement immobilier. Iels lont récupéré en pleine trêve hivernale, quand il y avait encore une soixantaine de personnes quy habitaient et qui navaient pas dautres lieux où aller. Iels nous ont rien prêté du tout. Non, vraiment._
_Mais soit. Nous sommes heureux.ses de publier ici quelques pages tirées du Carnet de bord du Pado, écrit par notre amie Zahra, qui au Pado a passé beaucoup de temps. Parce que ça rend bien ce que ce lieu a signifié pour nous, le souvenir que nous voulons en garder. Et il fallait bien que quelquun.e le dise enfin: quon peut se sentir bien dans un squat, comme si on était à la bonne place._
_Lextrait que nous publions ici est tiré dun livre qui vient tout juste de paraître, qui sappelle Le Pado, Carnet de bord. Vous pouvez le trouver ici : [www.murielleholtz.fr](https://murielleholtz.fr/)_
#### 22 septembre 2023
Il pleut.
Depuis longtemps on lattendait, la pluie, dans tout le pays. Maintenant elle arrive, elle vrombit, renverse la Libye. La pluie arrive. Les bateaux aussi. À Lampedusa, quatre-vingt-dix-neuf embarcations accostent entre lundi et mercredi. 8 500 personnes débarquent sur les plages italiennes. LEurope saffole. Giorgia Meloni demande de laide. Von der Leyen dit «Oui mais pas lAllemagne, on a déjà assez donné». Darmanin dit «Non, nous naccueillerons pas tous les réfugiés de Lampedusa, nous renforcerons le dispositif de surveillance à la frontière franco-italienne».
Il fait nuit. Nous sommes agglutinés sous le barnum comme un nuage de mouches autour dun butin, sauf quil ny a pas de butin. Un groupe de sept personnes passe le portail. Dabord les conduire au free-shop. Changer les chaussettes, les tee-shirts — jamais à la bonne taille les pulls, les chaussures jamais assez grandes. Puis proposer un bol de riz — il ny en aura jamais assez pour toute la nuit et indiquer un endroit pour dormir. Au mieux, une chambre avec un lit, au pire, un recoin.
Tu ne peux prendre quune couverture, sinon il ny en pas assez pour les autres, tu comprends. Nous montons les escaliers qui mènent au grenier. À la lumière dune frontale, nous essayons de trouver une place libre. Les corps se tournent, grognent un peu. Se rendorment.
Au fond de la pièce, on distingue un petit espace. Il me regarde. Je suis désolée, ya rien de mieux. Entre les couvertures qui servent de matelas, leau coule. Il y a deux grands trous dans le plafond. Il pleut.
#### Jour 2
**Depuis quand il a ça ?**
**Le bateau.**
**Vous avez traversé à Lampedusa ?**
**Oui**.
**Et la blessure, elle saggrave ou elle guérit ?**
**Elle guérit.**
**Ok. Dis-lui que je ne suis pas infirmière, mais que je peux changer son pansement sil veut.**
Il traduit.
**Daccord.**
Je fouille dans les placards de Médecins du monde, puis dans ceux des autres pièces et reviens avec des compresses, du désinfectant et une bande. Je commence à enlever son pansement. La peau est accrochée à la bande. Jy vais tout doux. Ça lui fait mal. Un dernier tour et hop. Il y a un énorme trou sur le dessus du pied. La chair est à vif. Ça mimpressionne. Je cherche la compresse, louvre. Mes gestes sont hésitants.
**Je peux le faire si tu veux.**
**Quoi ?**
**Le pansement.**
**Ah oui ?**
**Oui, jai fait des études de médecine.**
**Ah ben bien sûr, vas-y.**
Il finit douvrir la compresse.
**Combien dannées de médecine ?**
**Deux ans.**
**Avec des stages ?**
**Oui, aux urgences. Puis il y a eu la guerre.**
Il prend le gel posé sur la table et le verse sur la compresse.
**Euh, ça, cest pas du désinfectant, cest du gel hydroalcoolique.**
**Ah ok.**
Il rit.
**Tu peux me tenir ça ?**
**Oui bien sûr. Je suis ton assistante.**
Il rit. Il verse le vrai désinfectant directement sur la plaie et presse fort avec la compresse sur la chair à vif. Son ami rit. De douleur. Puis il lui fait un pansement magnifique. On ne trouve pas de ciseaux pour couper le bandage. On utilise un couteau plein de beurre.
Made in China, Export to Europe, to US, to Afrika. Ils ont traversé le monde avant darriver ici, les vêtements. Les corps aussi. Soudan, Sénégal, Tunisie, Turquie, Guinée, Libye, Maroc. Et maintenant, ils sèchent. Les vêtements. Les corps aussi. Et lespoir aussi peut-être. Allongés sur le bitume du terrain de basket, certains sont avachis sur des chaises et attendent. De largent, des papiers, de la nourriture, un appel. Rien. Ou quelquun.
Du riz, des épices, de lhuile, du sucre, du sel. Cest la réserve du squat. Le magasin comme disent certains. Fermé par un cadenas. Dont le code change chaque jour. Brosses à dent, savon, pain, légumes, patates, riz, semoule, sucre, poivre, lait aussi et de la sauce tomate. Parfois biscottes, sardines, oignons. Cest aussi là quil y a les clefs des véhicules et les papiers police.
Ça, ce sont des papiers pour dire que vous demandez lasile. Même si vous ne voulez pas demander lasile en France, vous remplissez ce papier. Si la police vous arrête, vous le montrez et vous dites Je veux demander lasile. Cest une toute petite protection, cest pour le train ou le bus. Mais ça ne
marche pas à Briançon. Ici les flics ont plus de droits quailleurs.
La pluie coule le long de la montagne, en gouttelettes, en rus, en rivières, en torrents, en fleuve, en Durance. Si abondante, quelle devient rigoles dans la ville. Cest avec elle quon remplit des caisses en plastique rouge et quon lave tout. Les vêtements, les couverts, les assiettes, les visages, les mains, les culs. Elle est très froide et toute grise cette eau qui coule dans les rigoles. Qui ne coule pas dans les douches. Ni dans les éviers. Ni dans les toilettes. Depuis le début de loccupation, le maire et le propriétaire ont donné lordre de couper leau. Pas deau courante dans le bâtiment. Pas deau du tout. Le squat sappellera donc le Pado.
Elle était grosse sa colère. Les yeux révulsés, les lèvres tremblantes, tout le corps tendu, il criait «wakhed wakhed, un par un, un par un, sinon on ne sert pas !» Mais personne ne lécoutait. On craignait quil ny ait pas assez de bouffe pour tout le monde alors on se bousculait pour tenter dêtre servi en premier. Et lui était si en colère quà un moment il a dit «Stoooop». Avec ces cernes violets sous les yeux et ses lèvres tremblantes, il a dit «Stooop ! On remballe !» Tout le monde sest figé. Un grand froid. On ne va pas être privés du repas du soir quand même. Il sest tourné vers les autres bénévoles du Refuge[^2] et a dit «On remballe, on ne sert pas, trop de bousculades, cest dangereux, on na pas le choix, on remet tout dans le fourgon». Et aussitôt disparurent les grandes casseroles de riz et de sauce. Et les plats de tartes. Il y avait de la tarte aux pommes ce soir-là. On est resté.e.s sans voix un temps et puis quelquun a dit «Écoute, ce nest pas possible, il faut absolument quon serve le repas de ce soir sinon la nuit va être ingérable». «Bon alors, il faut mettre quelque chose pour obliger tout le monde à faire une file, une seule ligne, un par un, wakhed, wakhed». Deux caddies remplis de poubelles furent placés devant les tables de distribution. Une ligne sest formée. Les cantinières réapparurent. Dabord une louche de riz pas trop grosse la louche, il faut quil y en ait assez pour tout le monde puis deux cuillères de sauce. Et par-dessus, un morceau de tarte. Plus tard le fourgon est reparti avec les casseroles vides, sa colère et sa fatigue.
#### 23 septembre
Aujourdhui 23 septembre au Pharo de Marseille, le pape a dit «Considérons ceux qui se réfugient chez nous comme des frères et non comme des fardeaux à porter». Son discours a fait le buzz sur le net. Le Monde la même publié en entier. Le monde a applaudi le pape. Ici, les paroissiens ont prêté leur terrain durant quinze jours. Puis cétait la rentrée scolaire. Ils ont exigé que les tentes soient évacuées pour que léglise Sainte Catherine reprenne ses activités.
Chaque soir, à 20:03, un train va de Briançon à Paris. Direct. En douze heures, douze arrêts, une nuit.
**Mais ils vont où ?**
**À Paris.**
**Et après ?**
**Certains rejoignent la famille, dautres rejoignent des amis.**
**Ça me fait bizarre dêtre là. Ça me fait penser aux SS.**
**Vous venez darriver ici ?**
**Oui, je viens de Marseille.**
**Et vos pistolets ?**
**Bah… on est la police ferroviaire, donc on a des armes.**
**Et donc votre mission…**
**Cest dintervenir sil y a des personnes qui nont pas de tickets.**
**Mais vous les sortez de force ?**
**De force, pas vraiment. Quand on leur dit de sortir, ils sortent tout de suite. On na pas besoin dutiliser la force, ils nous suivent, cest tout. Et puis des fois, on ferme les yeux. Ou bien on leur dit que dans une demi-heure il y aura un autre train et quils peuvent le prendre. Voilà.**
Silence.
**Cest bien ce que vous faites.**
**On fait ce quon peut.**
**Bon, je vais leur dire au revoir. Avec certains, on tisse des liens.**
**Pourquoi, ils restent longtemps ?**
**Ça dépend. Certains restent quelques heures, dautres plusieurs jours.**
**Et pour les billets ?**
**Parfois ils ont de largent ou alors ce sont les familles ou les amis qui paient. Dautres fois, on paie avec de largent collectif. Mais on na pas grand-chose. En plus la mairie coupe lélectricité et leau. Bon jy vais.**
**Ok. Attention de ne pas rester dans le train.**
**Oui.**
Plus tard - chemin du retour lune presque ronde.
**Tes pas arrivé à passer ?**
**Non, trop de policiers.**
**Tu veux aller à Paris ?**
**Non, je veux aller à Toulouse.**
**Alors tu ne dois pas aller à Paris, tu dois aller dabord à Grenoble, en bus, puis ensuite à Toulouse.**
**Ah bon ? Dabord le bus ?**
**Oui. Regarde.**
Je marrête et dessine une petite carte de France dans mon carnet. Ici Paris, ici Briançon et voilà Toulouse.
**Ah daccord.**
**On reprend notre route, le long de la Durance.**
**Tu veux faire quoi à Toulouse ?**
**Je veux finir mes études.**
**Tes études de quoi ?**
**De médecine.**
**Ah mais cest toi ! Désolée, je tai pas reconnu.**
Il rit.
**Ce nest pas grave.**
**On ta cherché tout laprès-midi. On a besoin de médecins comme toi ici. Tu ne veux pas rester un peu ?**
**Peut-être que je reviendrai, mais dabord je dois passer mon diplôme et après peut-être que je reviendrai, venir aider. Il y a tant de gens qui sont blessés.**
**Et ton ami avec son pied, il part avec toi ?**
**Non, il reste ici. Moi je partirai demain. Dabord le bus pour Grenoble puis le train pour Toulouse, comme tu as dit.**
**Tu vas voir, cest beau Toulouse, il y a un grand fleuve, comment tu dis un fleuve ?**
**El oued.**
**Un grand el oued et beaucoup de musique. Cest a pink town.**
**Pink town ?**
**Oui les murs sont tout rose.**
Il rit.
**Tu seras bien là-bas.**
**Inchallah.**
Plus tard encore, la nuit est tombée. Repas bien organisé, pas de bagarre, pas de cris, pas de fâcherie, pas de bousculade, une file, wakhed wakhed. Et il y a eu assez à manger pour tout le monde. Pour deux cents personnes. Tout va bien.
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Encore plus tard, prendre ni papier, ni téléphone. Baisser tous les sièges du coffre. Partir en deux voitures. Prendre à droite après la station-service. Entrer dans la cour de limmeuble, tous phares éteints. Couper les moteurs. Se faufiler vers la porte entrouverte. Louvrir en grand, sans faire de bruit. Et remplir. Remplir nos bras de couvertures, de balais, dassiettes, puis remplir les coffres, les remplir à ras bord, de seaux, de pelles, déviers, de coussins, de louches. Vider lhôtel abandonné pour remplir nos coffres. À bloc. Puis fermer les portières tout doux, sans faire de bruit, sans rien dire. Démarrer. Rouler. Tranquille. Tout doux. Croiser une voiture de police. Rouler, tranquille. Arriver au Pado. Tout décharger sous le barnum.
Et puis danser. Danser sous la demi-lune. Danser la vie au milieu du froid parce quaujourdhui on a vidé le coffre-fort de la ville pour garnir notre château-fort de marmites et de couvertures. Et ça cest bon. Et ça sonne juste. Cest la vie qui déborde pour de vrai. Cest un putain de shoot comme jen ai jamais connu. Enfin si, peut-être, mais pas pour les mêmes raisons. Pas pour le même mot. Pas pour ce sentiment entier, dense, compact, solide, solidus, solidarité.
#### 25 septembre
Aujourdhui est un jour particulier. Il parait que ce nest pas souvent, que cest rare et cest aujourdhui. En même temps que la députée serre la main du maire, en même temps que le soleil grandit dans le ciel, en même temps quun groupe de cinquante personnes se prépare à prendre le bus pour Grenoble ; aujourdhui dans toute la ville, les policiers interpellent ; dans les rues, hop, embarqués, devant la gare, hop, embarqués, dans le square, hop embarqués, direction le commissariat. On fait une manif, on va devant le comico ? On est combien ? On sera dix. Et alors ? Pas le temps, il faut réparer le toit, gérer la réserve, trouver dautres couvertures, faire la récup des invendus… Hier, Darmanin à envoyé 84 policiers, gendarmes et militaires supplémentaires à la frontière. Aujourdhui est un jour particulier. Cest jour de rafles.
**Tu pars aujourdhui ?**
**Oui, jai le billet.**
Jaime bien cet homme. Cest le plus vieux du campement. Peu de dent. Un grand sourire. Veut souvent du sucre ou de lhuile.
**Comment on va faire sans ton sourire.**
**Il rit.**
**Tu vas où ?**
**Paris.**
**Ok. Alors bonne chance.**
**Je veux manger avant de partir ?**
**On na plus rien. Je suis désolée.**
On na plus rien, plus de pain, plus de matelas, plus de place, plus de riz, plus dhuile, plus de sucre, ah si on a encore du sucre. Bientôt, on sera peut-être expulsé.e.s, plus de bâtiment, plus de dodo. Sorry. On na plus rien et chaque nuit cinquante personnes arrivent. Et chaque semaine, plus dune centaine de personnes traversent la frontière. Et chaque seconde est puissante comme une minute, chaque minute comme une heure, et chaque heure est une journée entière. Cest doux et terrible. Cest si intense. Est-ce que tu entends la lumière de ce lieu ? Je veux dire la lumière, je veux la partager, comme nous partageons notre humanité, nos déceptions et nos espoirs. Dire la lumière et le temps, ici, tranchant et indomptable. Comme la montagne.
#### Jour je sais pas combien
9h du matin. Bus station. Distribution de thé, chocolat chaud et petits pains par les bénévoles du Refuge.
**Il faut leur dire quils ne doivent pas manger dans le bus.**
**Mais on vient de leur donner des sandwichs et ils ont faim.**
**Oui, mais ils ne peuvent pas manger dans le bus, cest le chauffeur qui la dit. Il faut aussi leur dire de ne pas faire caca dans le bus.**
**…**
**Oui, il parait quy en a un qui a fait caca dans un sac plastique. Donc il faut leur dire de ne pas faire caca dans le bus.**
**Mais sil a fait caca, cest parce quil nétait pas bien.**
**Ils nont quà demander au chauffeur de sarrêter. Et puis cest deux heures le trajet, ils peuvent bien se retenir.**
**Euh… demander cest pas si simple, et deux heures, cest long quand tes malade. Si quelquun a fait caca dans un sac plastique, cest parce quil navait pas dautres choix. Pas la peine de dire à tout le monde de ne pas faire caca dans le bus.**
Haussement dépaules.
Ce soir, toute la ville est illuminée. Du violet dans les douves du fort Vauban, du doré pour le clocher de la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Nicolas, des candélabres pour le chemin de ronde, des spots multicolores dans les bars de la ville et une jolie petite guirlande dans le jardin du voisin. Ce soir toute la ville est illuminée. Sauf au Pado.
Au Pado, cest le noir total. Plus de jus. Ce matin le maire a donné lordre de couper lélectricité du bâtiment. Plus de lumières, plus de prises électriques, plus moyen de charger les téléphones, donc
plus de wifi, donc plus de prises de billets, plus de allô mama, allô khuya, tout va bien. Dans le ciel,
la lune magnifiquement pleine. Sur mes lèvres, un baiser de Ragnar. Eldid. Une étincelle.
#### Jour daprès.
Il y a ceux qui partent. Puis il y a ceux qui restent, qui nont nulle part où aller. Alors certains investissent leur chambre comme un petit appartement. Djamila a établi campement avec son mari dans lancien logement du professeur. Lambris, plancher, table basse, couvertures brodées, porte-chaussures, salle de bain avec miroir, trousse à maquillage, brosse à cheveux, shampoings, gels douches et baignoire. Manque juste leau.
De retour des urgences.
**But I didnt understand how to do it.**
**You open this thing and you put that here.**
**Where ?**
**Here, in your ass.**
**My ass ?**
**Yes in your ass. You go in your bed, you raise your legs and then tchouk.**
**Tchouk ?**
**Yes.**
Rires.
\* \* \*
Chaque soir, Merwan sinstalle dans la cour et met de la musique sur une petite enceinte. Dabord il écoute ses chansons préférées assis. Puis soudain ça arrive toujours à un moment ou à un autre il se lève et se met à battre des ailes. Il vole dans le ciel des Alpes. Une alouette, un aigle, un gypaète
barbu. Alors on forme un cercle autour de lui et on tape des mains. Il lève les genoux, puis les bras, de plus en plus haut, de plus en plus vite. Il vole. Ses doigts tremblent. Et soudain ça arrive toujours à un moment il pique vers le sol, racle le bitume avec sa main, se relève aussitôt et se remet à voler, encore plus haut, encore plus vite. Chaque soir, à la lumière de la lune, dune bougie ou dune frontale, Merwan vole. Il ne fait pas partie de ceux qui pourront demander lasile. Il na nulle part où aller. Son pays à lui, cest la danse. Guedra.
Cette nuit, un camion entier est arrivé dAveyron. Un camion rempli doignons, de légumes, de patates, de pots de miel, de sauce tomate, de ratatouille, de confiture. Il y a aussi du couscous, du riz, un énorme tas de fringues et des chaussures, belles, presque cirées. On se chamaille pour prendre les vestes. Ce soir, un camion entier est arrivé des fermes aveyronnaises. Et pour le moment, cest lopulence. Ça ne durera quun jour. Mais pour le moment, cest lopulence.
Moi, jétais au Cambodge et au Tchad. Les ONG, là-bas, elles ont tout : leau, lélec, des tentes. Mais ici, cest complètement dingue, y a personne. Y a que les anarchistes qui soccupent des réfugiés. Cest pour ça que je suis là, pour voir comment vous faites.
Fabienne, chercheuse en sociologie.
\* \* \*
Et ce matin je néchappais à la sensation que nous étions en train de gérer ces personnes comme du bétail, à faire disparaître, à cacher, à faire embarquer le plus vite possible, le plus loin possible dici. Pourtant cétait bien ça quils nous demandaient tous, sortir de la ville, disparaître, ne pas être visible, ne pas se faire remarquer, going away, go to Paris. But you know Lyon is not so good and Marseille too, go to a little town you understand me ? La conversation se répétait à linfini. Mais vers où les guidions-nous ? Vers le mieux ? Vers le pire ? Que connaissait-on des villes pour lesquelles on payait des tickets ? Pire que le Pado, y a quoi ? La rue. On les envoyait donc à la rue, cétait donc ça ? Tiens, voilà ton ticket, un aller sans retour pour le campement sous le pont dAusterlitz. Oh my god.
Et ce matin je néchappais pas à la sensation que nous étions en train de contenir une explosion, une colère, une immense injustice. Et je rêvais que tout cela explose à la face de la ville, du pays, du monde entier, plutôt quil nimplose dans le cœur de notre paquebot, de notre radeau, de notre Pado.
Et je rêvais que certains restent, que lon vive tous ensemble, que lon fasse une grande maison du peuple, ici, à Briançon. Et partout ailleurs. Et je rêvais que certains restent, mais pour lheure cétait moi qui partais.
Ragnar, je vais retourner dans les Cévennes, demain, avec Marlène et Abdel. Il y a une place pour toi dans leur voiture si tu veux. Tu verras la rivière, les chênes verts, les moutons. Je te présenterai mes amis. On mangera un gros poulet chez Ahmed. Peut-être que tu pourras trouver du travail là-bas. Mais moi je vais pas rester dans les Cévennes. Je vais prendre ma voiture et revenir, ici, au Pado. Ok, je vais venir et après je vais aller en Espagne. Et jallais perdre mon meilleur allié. Pas pleurer. Ok. Tu vas me manquer. Moi aussi. Yallah.
#### Jeudi 4 octobre
En deux jours, le camp a déjà changé. Plus de chaîne sur le portail. Les infirmières refusent désormais dentrer dans le squat. Elles soignent entre deux voitures. Plus de cadenas dans la réserve qui est quasiment vide. Reste juste du sucre, un peu de riz, un chouia dhuile et beaucoup de thé. Babou est content de me revoir. Moi aussi. Il comprend vite que ma voiture est remplie dhabits. En moins de deux, il chope un tee-shirt et une veste. Il voudrait aussi des chaussures et prendre une douche avant de partir pour Marseille. On verra plus tard. Une autre personne me réclame des vêtements, mais aucun nest à sa taille. Un marocain me demande de laide pour partir, mais il na pas dargent. Je lui dis de venir au bus de 3h, on essayra de trouver une solution. Il fait doux, très doux. Toutes les portes du Pado sont ouvertes. Laccueil est devenu un hotspot. Une petite foule est agglutinée autour de deux multiprises alimentées par une batterie.
Plus assez de place pour dormir au sol. Adama est allongé sur une table.
**Et comment on fait pour la connexion.**
**Quelle connexion ?**
**Le réseau, y a plus de réseau.**
**Alors il faut faire la prière.**
**Ah bon, y a que ça ?**
**Et oui y a que ça.**
**Alors je vais faire les louanges.**
On rit.
Plus tard.
**Ça marche maintenant ?**
**Oui.**
**Tu vois, ça marche toujours la prière.**
**Oui, surtout les louanges.**
On rit.
Youpi ! On a gagné ! Le juge a tranché. Cessation temporaire de toute hostilité. Les policiers ne peuvent plus venir ici. Le proprio peut bien se fâcher, ça ne servira à rien puisquon a gagné ! On ne peut plus être expulsé. On peut rester jusquau 31 mars. On a trêve hivernale !
**Tu sais combien de morceaux de bananes jai distribué ce soir ?**
**Non.**
**Thalata mia wa arba wa sitin.**
**Euh… 263 ?**
**Non, 363.**
\* \* \*
Finalement Babou nest pas parti, le mec du Blablacar a refusé de le prendre parce quil na pas de papiers. Gloubs. Viens Babou. On va te chercher des chaussures.
Petit Yaya qui vient de Côte dIvoire ne sait pas où aller. Jappelle la maison des solidarités à Saint-É.
**Non il faut pas nous les envoyer parce quici 90% des reconnaissances de minorité sont refusées. Et puis ils prennent les empreintes, donc les mômes sont fichés.**
**Mais ils peuvent changer de ville pour faire un recours, non ?**
**Oui, mais là y a vraiment du monde.**
**Mais je lui dis daller où ?**
**Franchement je ne sais pas. Je voudrais pas prendre la responsabilité. Et puis on comprend pas tout. Certains ont donné leurs empreintes ici et là et finalement ça marche, et pour dautres dont le dossier est très bien, ça ne marche pas. Donc y a pas de règles. Seulement la chance.**
Ce soir la distribution de sandwichs à la gare était bien organisée. Deux par deux. En rang, debout. Propres, pas déborder. Ça ma fait chier. Nous ne sommes pas une agence de voyage, alors faisons le bordel, prenons lespace, encore plus. Mais si ! Débordons, crions, chantons !
Me manque Ragnar. Me manque beaucoup.
#### 10 octobre, 6:39. Message vocal.
**«Oui bonjour Madame, cest William. Il y avait pas de connexion dans le bus. Nous sommes à la gare de Strasbourg maintenant, on a trouvé votre collaborateur Camille. Merci merci merci. Elle est en train dessayer de nous gérer comme vous avez dit. Maintenant, on va arriver en Allemagne. Je vais vous appeler après sil vous plaît.**
#### 12:01.
Je reçois une photo souvenir de lui, Fansi et moi à Briançon. Puis une autre de lui, Fansi et Camille qui les a attendus à la gare de Strasbourg à 5:55, pour les conduire au Flixbus pour Magdeburg.
#### 20:45.
**Bonsoir madame, le contrôleur du train a dit que les billets ne sont pas bons mais grâce à dieu nous sommes bien arrivés. Merci merci merci merci au moins mille fois.**
Ce soir-là, une bagarre éclate, vol de téléphone encore une fois.
Ce soir-là, discussion avec Moubarak, architecte qui a dessiné un plan de réaménagement du Pado.
Ce soir-là, chansons dans la cour, en anglais, en colombien, en soudanais.
Ce soir-là, leçon darabe sous le ciel étoilé.
Ce soir-là, Ragnar devant moi.
Je veux pas aller en Espagne. Je veux aller avec toi.
Je plonge dans ses bras comme dans une maison.
**Je peux écrire quelque chose dans ton carnet ?**
**Oui ok.**
**Ici ?**
**Non, ça cest la carte de France, fais-le ici, sur cette page.**
**Daccord.**
Il écrit.
Je lis.
Il reprend le carnet.
**Attends je vais corriger, je veux mettre des petits légumes.**
**Des légumes ?**
**Oui des petits légumes audessus du mot, voilà comme ça.**
**Ah, des guillemets.**
Fou rire
\* \* \*
**Je vous appelle de Lyon où nous sommes bien arrivés. God bless you. Youre my angel.**
Quand ils me disent cela, je fonds, tout fond en moi. Les larmes pointent aussi. Parce que je me dis que nous sommes saufs, lui, moi, eux, nous, nous tous qui ne faisons quun, nous sommes saufs.
À chaque fois quils moffrent ces mots, je fonds dun amour immense, pour eux, eux qui moffrent leur confiance, leur sourire, leur rire. Et leur grande vulnérabilité me semble être une puissance merveilleuse, une grande puissance dhumanité. Quand ils parviennent à leur but, à lendroit quils visent depuis des milliers de kilomètres, quand ils mappellent pour me dire quils sont bien arrivés, alors tout en moi fond.
Ne reste plus quune immense flaque de joie, un lac de joie dans mon poitrail, un fleuve de tendresse qui minonde dun nouveau courage. Et la sensation dêtre pile à la bonne place.
[^1]: Voir les Brèves. Toutes les notes sont à la... euh... «rédaction»?
[^2]: Pendant la période où il avait fermé ses portes à laccueil, le Refuge Solidaire préparait des repas que ses bénévoles venaient distribuer dans la cour du Pado. Le Refuge organisait aussi des distributions de nourriture à la gare, comme il est dit plus loin dans le texte.

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Title: Remerciements
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 6
Numero: 2
Après la sortie du premier numéro, certain·es acteur·ices du milieu associatif briançonnais ont tenu à nous signifier que tout ce que nous faisions, disions, étions (nous les squatteur·euses du Pado, nous les wokes né·es de la dernière pluie, nous les lobbyistes méga-chiant·es du politiquement correct), tout cela était nul. Mais nul. Comment osions nous pointer du doigt les attitudes racistes et sexistes au sein des mouvements solidaires (qui sont irréprochables, on la bien compris) ? Comment osions nous user de ce ton grossier, outrancier, pas fédérateur pour un sou, et déranger les bonnes consciences en pleine sieste ? Après lexpulsion du Pado, on nous a trait·ées de « connards de Ravages » (alors quà vrai dire on serait plutôt des connasses). On nous aura accusé.e de "nuire à la société" (merci!) avec « nos affiches avec des hommes enceintes dessus ». Et un autre plus fantaisiste encore nous aura traité.es de « techno-stalinien⋅ne⋅s qui ne savent même pas faire la vaisselle ». Chapeau.
Face à ces déferlantes damour et dadhésion, nous avons voulu en remettre une couche. Et remercier en passant nos lecteur·ices : les copaines teeellement nombreuses, de Vintimille à Calais et plus loin encore, mais les réacs aussi. Merci pour vos critiques, toujours constructives évidemment, vos injures, vos frustrations et vos mauvaises haleines !
Mais pour continuer la sieste il va falloir mettre des bouchons dans les oreilles. Parce que voilà, oui, on est woke. On est woke et on vous dit phoques. Et c'est pourquoi, dans ce numéro, y a des phoques partout.
![](../images/02/danse.png)

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Title: Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia
Author: ravages
Date: 10/11/2024
Weight: 5
Numero: 2
_Upupa en Italien signifie huppe. Une huppe en Français cest un oiseau migrateur, au regard sombre et au plumage bariolé (blanc, orange et noir). Mais Upupa cest aussi le nom dun Info-point situé à Vintimille, ville italienne à la frontière avec la France, devant le grand campement de la Via Tenda, sous le pont de lautoroute. Créé par plusieurs collectifs locaux, cest le seul endroit vraiment ouvert à toustes, dans cette ville où, même pour accéder à la bibliothèque, il faut montrer un document didentité._
_Des copaines de Vintimille nous racontent le quotidien dUpupa, à travers les voix des personnes qui fréquentent le lieu. Écrit à plusieurs mains, il est entre le recueil dhistoires, la narration et la mise en mots dun imaginaire collectif. Ce que vous vous apprêtez à lire ne se veut ni exhaustif, ni représentatif du lieu, de sa complexité et de lénergie quil contient._
![](../images/02/upupa/tente.jpg)
Vintimille, un jour quelconque dun mois quelconque.
Il nest pas encore deux heures de laprès-midi et Gaï est déjà assis sur le muret en face dUpupa, à côté de sa trottinette. On est dimanche et cest son deuxième jour de repos. Demain il va retourner à Albenga pour le travail.
« Upupa is good for everyone, for migrants and for people living here. Upupa is the most important help, without Upupa people would be suffering. Without it they will not have a place. »
À deux heure trente arrive Mustafa, à lheure comme toujours, avec les clés. Depuis quelques semaines, il est chargé douvrir le local et de tout ce que cela implique. Cette nuit il a bossé et il sest aperçu seulement au matin que sa tente était complètement inondée, à cause de la rivière qui
a débordé après les fortes pluies.
Ce matin Mustafa a mis un message sur le groupe Whatsapp-Upupa pour demander une nouvelle tente. Coup de bol, nos stocks sont pleins de matériel arrivé il y a quelques jours de Paris.
«Je ne peux que remercier Upupa, parce que le jour où je suis arrivé ici je navais rien, et ici jai trouvé tout ce dont javais besoin. Des fois les gars ils font un peu le bordel, on en parle et après ça sarrête.»
Trois heures et demie. Abdkader arrive depuis le pont, exhibant le dégradé flambant neuf de ses cheveux.
«Upupa cest beau. Au moins on peut boire le café, charger le téléphone, il y a des vêtements, de leau, la tondeuse pour les cheveux, des assiettes pour manger, on peut cuisiner, des fois se faire un shampoing, il y a des choses pour se laver, du savon, des couvertures et des tentes, on peut faire venir les amis. On peut prendre de leau pour lamener sous le pont, il y a la wi-fi, tout est wallah. Upupa cest ma deuxième maison wallah. Mustafa est vraiment cool. On respecte les personnes ici, moi je fais pas de bordel ici.»
Ses cheveux cest Mohamed qui les a coupés, sous le pont, avec une tondeuse récupérée on ne sait pas où. Des salons de coiffure improvisés on en a vus plein: avant cétait même très structuré, avec un gars qui venait exprès pour couper les cheveux à tout le monde, avec chaise, tondeuse, brosse, laque, gomine et tout. Maintenant, cest un peu plus improvisé, on coupe dans le local au milieu des gens, avec les cheveux qui tombent dans les tasses de café. Ou alors sur le parking, entre les flics et Médecins sans Frontières.
Mohamed est dans le coin depuis un mois. Il parle très bien espagnol, ce qui lui permet dinteragir avec nous, les européen.nes. Il a pas la langue dans sa poche, il dit les choses même si ça fait pas plaisir. Il ne va pas nous peindre un joli tableau du lieu, il va rien peindre du tout en fait: «Le local a besoin de quelque changement. Il faut un responsable qui soit là dès louverture et jusquà la fermeture. Une personne qui puisse parler avec les gars quand ils font du bordel et avec les voisins quand ils viennent se plaindre. Lendroit doit être plus propre, parce que si un responsable de la mairie ou une personne de pouvoir vient et voit les dessins sur le mur, elle va pas être contente, elle va croire que cest un squat.»
Ces choses-là, il les a dites en assemblée aussi.
Il est quatre heures et demie. Un peu à la bourre et un peu en speed comme dhab, on essaye de faire un cercle avec tous les objets qui peuvent servir de chaise. À lintérieur il ny a pas assez de place, les tours multiprise trônent au milieu de la pièce et malheur à qui essaierait de les déplacer. Mais il faut encore un peu de temps avant de commencer: il reste une clope à taxer, un café à faire couler, une conversation à terminer. Après avoir trouvé tous les traducteurs quil nous faut, commence le tour rituel des noms et des pronoms. Ces moments permettent à la communauté dUpupa daborder toute sorte de thématiques, de soulever les problèmes qui ne sont évidents que pour les personnes qui habitent ce lieu et le font vivre.
Des propositions il y en a toujours à foison, mais la plupart sont englouties par le vortex des changements de personnes et par la facilité avec laquelle les objets ont tendance à disparaître.
Mais il y a une chose qui sinstalle de plus en plus. Cest la pratique de lautogestion. Même si des fois on a un peu du mal à reconnaître quelle séloigne beaucoup de la définition politique que nous donnerions de ce terme.
Concrètement, on observe lautogestion quand une étagère est cassée et que trois jours après, avec un marteau, deux clous et sept personnes, un chantier collectif est inauguré. On la voit à lœuvre quand, avant la fermeture, les balais volés au Lidl sactivent de manière autonome. Quand, à la rupture du jeûne, avant même que la distribution de nourriture soit commencée, il y a déjà quelque chose à manger, à partager. On laperçoit autour de lécran dun téléphone que dix personnes utilisent en même temps, pour regarder le match de la ligue des champions.
Mais lautogestion consiste aussi à troubler les dynamiques de quartier. Quand les voisin·es cherchent le responsable du lieu pour se plaindre, iels sont déstabilisées par le fait de ne pas trouver un.e interlocuteur·ice blanche, et encore plus gênées quand cest Mustafa qui leur répond en italien, en montrant sa carte avec écrit « bénévole dUpupa ». Et on voit bien la perplexité et la déception dans les yeux des flics, à chaque fois quils sont en service devant Upupa, cest-à-dire tous les jours de lannée (ACAB!). On voit bien que pour eux il est à peine concevable quun lieu de ce type nait pas de chef, ou que les « chefs » ne soient pas blancs.
Il est six heures vingt. La voiture de la Finanza[^1] arrive, suivie par celle déglinguée de Ahmed Hossen. Quand il ouvre la portière, la première chose quon remarque cest le blouson de travail quil porte tous les jours. Il vient à Upupa entre autre pour recharger son téléphone et pour faire des appels vidéo avec sa fille, entre un tour de magie et une blague bien placée.
«Moi je viens à Upupa pour défouler mon cœur, avec mes amis et avec tout le monde. Ce lieu arrange bien lEtat italien, mais lEtat italien narrange pas du tout ce lieu. Les pauvres gens sont tous entassés à un seul endroit, ils vont pas à la mer, en ville déranger les habitants, parce quils savent quici à deux heures et demie cest ouvert, jusquà huit heures, alors ils viennent tous ici. Sil y a pas ce lieu, toutes les personnes seront dans la ville.
Qui dépanne qui ? La mairie de Ventimiglia ne peut être que contente de ce lieu.
Je suis là depuis deux mois. Si quelquun me demande, moi je laide. Mais si on me demande pas, je laisse faire et les gens font ce quils veulent. Il manque un peu de rangement. Les gens débarquent ici sans savoir comment il marche ce pays, donc ils ont besoin dapprendre la langue et de comprendre ce qui se passe.»
Pendant que Ahmed parle, une connaissance à lui entre par hasard dans le local. Ça fait 35 ans quil habite à Ventimiglia et cestaujourdhui, pour la première fois, quil sest décidé à passer la porte, parce quil a vu beaucoup de monde à lintérieur. Avec un regard émerveillé et plein de curiosité, il dit rapidement bonjour à tout le monde, avant de repartir chez lui avec ses sacs de courses.
Une autre personne qui vient juste dentrer cherche du sucre pour se faire un café. Depuis que Mustafa est là, le sucre on le range dans le coffre, comme le plus précieux des biens. Il y en a toujours trop et il finit toujours trop vite. Le lieu semble lengloutir. Le mot sukar affleure constamment dans le chaos des conversations. Le sucre quil faut aller acheter au Lidl, le sucre quil faut mettre de côté, le sucre à partager, le sucre qui colle aux tasses, le sucre indispensable à la préparation lente et méticuleuse du café. Sucre, café en poudre, une goutte deau. Il faut un peu de temps. Le rythme ici nest pas scandé par la machine à café, mais par le tintement net et constant des petites cuillers qui remuent ces trois ingrédients. Il ne faut pas être pressé.e, ça peut prendre quelques minutes.
![](../images/02/upupa/mur.jpeg)
Pendant que des conversations babéliques bouillonnent, au-de-là du sifflement de la bouilloire qui passe dune main à lautre, entre le bruit de leau qui coule et le raclement du pot de sucre encroûté, on entend chuinter la porte du coffre qui souvre et se referme pour la millième fois.
Après il faut laver les tasses, les chercher, les perdre. Les retrouver dans les endroits les plus improbables. Sous les tables, sur les étagères des livres, dans les toilettes. Dans les pots de fleurs, sur le muret en face mais dix mètres plus loin. Dans le parking ou de lautre côté de la route. Et il ny a pas que les tasses, mais aussi les verres, les bols, les pots de confitures, les boîtes à café, récipients de toutes les formes et mesures. Dans le croisement chaotique de personnes, paroles et objets qui constitue ce lieu, la préparation du café se charge dune signification rituelle particulière.
Tous ces gestes appartiennent à la communauté dUpupa, déterminent le tempo du lieu, en définissent le quotidien.
On est presque à la fin de la journée. Sur la table sont éparpillés les dessins faits pendant laprès-midi, avec des crayons émoussés et des feutres en fin de vie. La plupart représente des drapeaux qui dénoncent notre ignorance géographique euro-centrée. Ces derniers mois, le drapeau palestinien est de plus en plus présent. Il y en a tellement que le mur en est rempli, jusquau plafond. Des fois, il y en a qui se décollent et tombent par terre, des nouveaux viennent les remplacer tous les jours.
Sept heures quarante-cinq. M vient de garer Sorpassina[^2], son scooter qui lamène toutes les semaines de Savona a Ventimiglia[^3]. Légèrement sonné par la route, les cheveux moitié aplatis et moitié ébouriffés par le casque, il marche vers Upupa. Comme quand on appuie sur la touche Play dun lecteur CD, la musique des salutations commence. Il y a des mains à serrer, des gens à serrer entièrement aussi, au milieu des voix piaillieuses et amicales. À côté de la porte, à lentrée, il retrouve comme à chaque fois les caisses des dons, où il ne manque jamais des pulls et des chaussures qui ne vont à personne. Les choses qui partent presque aussi vite que le sucre, ici, ce sont les couvertures et les sacs de couchage, parce quil faut passer la nuit dehors au froid.
M se souvient dun podcast quil a écouté il y a quelques jours. En Palestine, à la Porte de Rafah, la plupart des dons envoyés par les groupes solidaires sont arrêtés à la frontière et séquestrés. Parmi les marchandises interdites, on trouve des objets qui sont totalement inoffensifs. Des jouets, des glaces au chocolat, réquisitionnées parce que considérée comme des biens de luxe. Des dattes, qui sont systématiquement inspectées aux rayons X. Des sacs de couchage aussi, parce que sils sont de couleurs mimétiques, on les assimile à du matériel militaire. La quantité de dons qui finit par passer
la frontière nest pas suffisante à combler les besoins de la population piégée à Gaza. Ici à Ventimiglia, la situation nest pas aussi violente quà Rafah. Mais, sil ny a pas assez de sacs de couchage, cest aussi par choix politique, comme cest par choix politique quil est interdit de remplir des bouteilles et des jerrycans deau à la fontaine devant le cimetière, à côté du campement. Cest le maire Di Muro qui la décidé, parce quil dit que notre présence nuit à la « décence du quartier ».
Huit heures trente-deux. On est déjà un peu en retard pour la fermeture. Normalement le rideau tombe à 20 heures sous les regards des voisin.es et de la flicaille. Pendant quil essaye de nettoyer les taches de café à la serpillière, Ayoub Abdou explique quil connaît bien la ville, mieux que nimporte qui : « Je suis ici depuis 2018, jai été aussi au campement de la Croix Rouge. Là-bas la police vérifiait les papiers de tout le monde pour entrer et sortir. Maintenant je veux aider ici, et dire aux gens de pas faire du bordel parce que lendroit appartient à tout le monde, il est pas à moi, à toi ou à lui.»
Six ans après, les flics sont toujours là évidemment, mais au moins ils ne rentrent pas. Parce que cette fois cest nous qui avons les clés.
[^1]: Cest un corps de la police italienne, pas moins chiant quun autre. Toutes les notes
sont à nous (Ravages).
[^2]: Pas évident de traduire ça. Sorpasso en Italien signifie dépassement, comme on dépasse quelquun.e en voiture. Alors Sorpassina ça serait comme un dépassement mais au féminin, et tout petit. Ça donne limage dune petite bête au bruit dinsecte (oui, précisément) qui double frénétiquement tout ce quelle croise. Et je mettrais ma main à couper quil se pronomme au masculin : Il Sorpassina.
[^3]: 114,2 km selon Google Maps.

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Date: 12/04/2023
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[Numéro 01 (2023)](/edito_01.html) - [version PDF](/pdf/num_01.pdf)
[Numéro 02 (2024)](/edito_02.html)

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<h2>Sommaire</h2> <h2>Sommaire</h2>
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<h2 class="entry-title">Lexique : appel d'air</h2>
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<h3>Définition</h3>
<p><em>Appel dair</em> : théorie fumeuse selon laquelle lamélioration des conditions de vie pour les immigré·es dans un endroit donné (à léchelle dun continent, dun pays, dune région ou même dune ville) donnerait lieu à un plus grand afflux dimmigré·es vers cet endroit.</p>
<h3>Historique</h3>
<p>Cest au début des années 1980 que « lappel dair » fait en France ses premiers pas. Claude Cheysson, alors ministre des relations extérieures, multiplie les apparitions publiques avec sa pipe et son air farouche pour exprimer sa gratitude envers les travailleur·euses immigré·es Algérien·nes. Claude évoque même, lors dun voyage en Algérie en été 1981, sa volonté doctroyer le droit de vote aux immigré·es en situation régulière en France pour les élections municipales. Cen est trop pour lopposition de droite, qui accuse alors ce brave Claude daller pêcher des voix chez les étrangèr·es. Et pour Jean-Marie Le Pen, qui, à peine sorti de lindifférence médiatique dans laquelle il végétait depuis plus de dix ans, crie à la « défrancisation de la France ». Le droit de vote aux étranger·es, dit-il, voilà le plus sûr moyen dattirer plus détranger·res. Deux bouquins racistes plus tard (Réponses à limmigration : la préférence nationale et Les immigrés: le choc, tous les deux publiés en 1984) et on y est : il faut réformer le droit social pour arrêter « lappel dair ».</p>
<p><img alt="Portrait de Claude Cheysson" src="../images/cheysson.png"></p>
<p>Au cours des décennies suivantes, « lappel dair » fait son petit bout de chemin. On lentend surtout dans les bouches tordues des droitards qui fulminent contre les allocations familiales, lassurance chômage, les minima sociaux, le système de santé; tout ce qui de près ou de loin pourrait bénéficier aux immigré·es en situation régulière. Et lidée finit par faire son trou. Au début des années 2000, cest autour du camp de Sangatte dans le Pas-de-Calais que gravitent les conspirateur·ices de lappel dair. Inauguré en septembre 1999, le camp de Sangatte (géré par la Croix Rouge) accueillait jusquà sa fermeture en décembre 2002 par Sarkozy les personnes désireuses de se rendre outre-Manche. « Nous mettons fin à un symbole dappel dair de limmigration clandestine dans le monde » déclarait Sarkozy au JT de TF1 en décembre 2002. </p>
<p>Mais cest pendant la soi-disant crise migratoire de 2015 que lappel dair sincruste véritablement à la télé, dans les journaux, à la radio, ou dans des repas de famille qui auraient vraiment pu sen passer. Laide médicale dÉtat, les aides au logement, mais aussi les opérations de sauvetage en mer et les mouvements de solidarité aux frontières sont pointées du doigt par la droite et lextrême droite comme encourageant les candidat·es au départ, et leur arrivée, à terme, en France. Lappel dair devient un fourre-tout : cest la carte un peu usée que la droite ressort chaque fois quelle veut entraver une politique sociale sous prétexte quelle pourrait aussi bénéficier aux étrangers. En 2018, le Rassemblement National (anciennement Front National) proposait par exemple darrêter la construction de logements HLM neufs, qui favoriserait limmigration clandestine. « Dans certains quartiers, alors que des logements sortent à peine de terre, des messages partent à létranger pour faire venir des futurs habitants », peut-on lire dans le « Plan Le Pen pour les banlieues ».</p>
<h3>Postulats cyniques de base</h3>
<p>La pseudo-théorie de lappel dair situe les causes profondes de limmigration dans le pouvoir dattraction de nos structures sociales. En gros, si tant de gens quittent leur pays pour venir chez nous, cest parce que nous sommes belles et bon· nes et libres et loyales comme autant de Clint Eastwoods à contre-jour sur des chevaux blancs. Et plus nous sommes généreux·ses et sympathiques, et plus iels viendront nombreux·ses. Pourtant, il serait bon de reconnaître que notre richesse est basée sur lusurpation, lexpropriation, le pillage et le contrôle des ressources dautrui. Ou que la pauvreté dune très grande partie du monde est la conséquence directe de nos politiques coloniales et post-coloniales. Ou encore que les bouleversements climatiques qui frappent plus violemment les pays les plus fragiles sont une conséquence prévisible dun modèle de croissance occidental, que nous avons imposé à coups de guerres, doccupations, de diplomatie véreuse et de plans de développement à la noix.</p>
<p>La théorie de lappel dair fantasme aussi les émigré·es comme des calculateur·ices averti·es. On les imaginerait presque devant leur cheminée pétillante au Bengladesh ou au Soudan, en train de comparer les modèles sociaux en Europe, avant de boucler leurs valises et de se lancer dans la joyeuse aventure de lexil. Un peu comme des étudiant·es Erasmus qui choisiraient la destination de leur séjour à létranger en fonction des possibilités de carrière future ou de la qualité de la bouffe locale. Cest à la fois cynique et grotesque doublier quune très grande partie de la population émigrée quitte son pays sans en avoir vraiment le choix, pour fuir la guerre, la misère ou labsence davenir. Et même si ce nétait pas le cas, gardons en tête linjustice qui permet aux citoyen·nes européennes et nord-américaines de voyager quasiment partout dans le monde, moyennant quelques dizaines deuros ou de dollars, tandis que, pour dautres, le voyage à létranger nest accessible que de manière illégale, avec tout ce que cela comporte en termes de coûts et de prises de risque.</p>
<p>Sans oublier que la défense des acquis sociaux et le devoir dhospitalité envers les immigré·es pauvres devraient appartenir au même camp idéologique de gauche, celui pour qui une paix sociale juste et durable sacquiert en réduisant jusquà labolition les inégalités sociales et économiques. Les classes moyennes et subalternes des pays riches devraient sunir avec les populations immigrées, dans une même lutte de classe contre les riches oppresseurs qui les poussent encore et toujours à ravager la planète pour sacheter un SUV et un pavillon couleur genou. Malheureusement, elles semblent plutôt enclines, les classes subalternes, à succomber à cette propagande raciste et ultra-libérale visant à mettre tout le monde les un·es contre les autres, selon la légende de la couverture trop courte.</p>
<p><img alt="Photo d'un camion floqué d'une pub anti-immigration aux Royaume-Uni" src="../images/appeldair2.png"></p>
<h3>Conséquences générales</h3>
<p>Pour arrêter dattirer toujours plus de candidats à lexil avec nos tours HLM et nos APL il suffit de leur rendre la vie invivable. Cest ce que la préférence nationale tente daccomplir en différenciant lattribution de minima sociaux, par exemple, en fonction du critère de citoyenneté. Cest aussi ce que fait le renforcement des effectifs militaires et policiers le long des frontières intérieures et extérieures en Europe (en augmentant les risques liés à lémigration), ou autour des gares (en rendant plus probable les contrôles au faciès et les arrestations). En Angleterre, Theresa May annonçait dès 2012 lintroduction dune loi visant à créer « un environnement hostile pour les immigrés illégaux », en leur interdisant laccès au travail, au logement, aux services sociaux ou même louverture dun compte bancaire. Pendant lété 2013, des camions affrétés par le home office circulaient dans les quartiers populaires de Londres pour menacer dexpulsion les résident·es en situation irrégulière. </p>
<p>En 2014, le gouvernement Australien dépensait 23 millions de dollars dans une campagne publicitaire à destination du Sri Lanka, de lIrak et de lAfghanistan pour dissuader de potentiels émigré· es avec un message plutôt clair : « You will not make Australia home ». Le Danemark, la Norvège et la Belgique ont financé des campagnes similaires à destination de la Syrie et des réfugiés Syrien·nes au Liban. Cest une drôle de danse à laquelle se livrent les pays occidentaux dits « dimmigration » ; une course à linhospitalité visant à dissuader sinon le départ, au moins linstallation des étrangèr·es sur leur territoire, en sabotant leurs propres acquis sociaux, et en croisant les doigts très fort pour que leurs voisins européens ne sabotent pas encore plus les leurs.</p>
<p>Cest là que lappel dair apparaît comme une théorie non seulement dextrême droite, mais ultralibérale aussi<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>. « Leffort pour devenir le plus inattractifs possible, donc pour accueillir le plus mal possible », écrit Jérôme Lèbre, « ne trouve devant lui rien dimpossible. Il couvre le champ
entier du politique, guidé par lobjectif de la plus grande absence de solidarité interne ». En dautres termes, ce sont les systèmes de solidarité en général les aides sociales, la redistribution qui pâtissent des attaques ciblées contre les immigré·es, même si ceux-ci continuent dêtre les premiers affectés par les politiques de précarisation de la vie quotidienne.</p>
<h3>Conséquences locales</h3>
<p>Chez nous aussi, la théorie de lappel dair a des conséquences désastreuses. Elle favorise entre autres la militarisation des zones frontalières pour limiter larrivée des personnes exilées. A lété 2023, par exemple, les préfets des départements des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, ainsi que les maires de Nice et de Briançon, ont insisté auprès du Ministère de lIntérieur pour que se déploie chez eux une « Border Force » faite de renforts policiers, de collaboration entre services et de « moyens techniques supplémentaires », parmi lesquels des drones favorisant lidentification et la poursuite des personnes exilées qui traversent la frontière. Après la déclaration dÉlisabeth Borne en avril 2023 annonçant la mise en place de la Border Force dans le pays niçois, le sénateur des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, sest empressé de demander à Matignon sa part de renforts sécuritaires. « Jappelle la Première ministre à mieux ventiler les nouveaux effectifs sur lensemble de la frontière, notamment dans les territoires de montagne où les points de passage sont nombreux et où le relief impose une surveillance accrue » avait-il déclaré, réclamant par là des renforts matériels et humains à la PAF de Montgenèvre.</p>
<p>Ces surenchères sécuritaires ont doublement à voir avec la théorie de lappel dair. Dune part, les patrouilles militaires et policières, les refoulements illégaux, les pratiques de guet-apens, chasses à lhomme, rackets, violences et intimidations pratiquées par les forces de lordre le long de la frontière franco-italienne figurent comme autant de manières de dissuader les migrations par lhumiliation et la souffrance. Cest la logique du « moins on est accueillant, et moins on aura à accueillir ». La théorie de lappel dair légitime en cachette le renforcement des contrôles aux frontières terrestres et maritimes, la construction de murs (barbelés pour lEurope), la présence de militaires (comme si cétait la guerre). Dautre part, lidée selon laquelle plus de sécurité dans les Alpes-Maritimes favoriserait les traversées clandestines dans les Hautes-Alpes et vice versa montre que lappel dair fonctionne aussi au niveau régional : il faut être au moins aussi armé que nos départements voisins si lon veut sassurer de ne pas devenir un «couloir» par lequel les gens transitent et dans lequel ils risqueraient de sinstaller.</p>
<p>Mais lappel dair frappe aussi proche de nous et de nos idées, parmi les « solidaires » des zones frontalières qui mélangent hospitalité et contrôle<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup>. Sans vouloir en remettre un couche (et sattirer à nouveau les foudres de la gauche charitable), il est significatif que des structures daccueil en viennent à refuser de mieux accueillir, ou daccueillir plus (alors quelles en ont les moyens matériels) par crainte que de meilleures conditions daccueil ne mènent à une plus grande demande. « Si on accueille mieux, on devra accueillir plus, ou plus longtemps » se disent les gestionnaires de droite comme de gauche. On nest pas si loin des politiques dhostilité stratégique déployées par Theresa May ou dautres dirigeant·es de pays migraphobes.</p>
<p>Le but est de comprendre les ressorts qui nous mènent à justifier notre propre (in)hospitalité, et dendiguer si possible la prolifération du malhonnête appel dair. Si on naccueille pas, ou moins, cest peut être parce quon a ingéré de trop fortes doses de racisme ordinaire, ou quon a des préjugés sur les personnes racisées ou sans-papiers. Mais ce nest pas parce que notre grandeur desprit nous plongerait dans la folle spirale dune hospitalité infinie ; ni parce quen donnant un peu, on se retrouverait immanquablement à devoir donner plus.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Jérôme Lèbre, « Appel dair », attractivité libérale et inhospitalité absolue, Lignes 2019/3.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Voir notre article « La jauge du Refuge solidaire: laccueil inconditionnel conditionné » dans le Ravages n°1.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
</div>
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<h2>Sommaire</h2>
<ul>
<li><a href="/breves02.html">L'année 2024 vue d'ici</a></li>
<li><a href="/article1.html">Lexique : appel d'air</a></li>
<li><a href="/article2.html">Est-ce que tu m'aimes vraiment</a></li>
<li><a href="/article3.html">Le Pado : carnet de bord</a></li>
<li><a href="/article4.html">Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</a></li>
<li><a href="/calais-ca-existe-le-deuil-solidaire.html">Calais : ça existe le deuil solidaire ?</a></li>
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<title>ravages - Est-ce que tu m'aimes vraiment</title>
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<p><em>Tiens, tiens, en voilà un drôle darticle. Lamour ? Mais cest quoi le rapport avec les frontières ? Lamour cest unique, cest intime, ça ne concerne que celleux qui saiment et personne dautre, ça flotte allègrement au-dessus des inégalités de pouvoir, cest le rempart et la solution à la haine, la violence, lignorance… non ? Et bien non, grande patate ! Le sentiment amoureux est le produit dhistoires sociales et sentimentales particulières<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>. Les manières daimer, de désirer, de sattacher et de se séparer ne sont pas universelles mais varient selon tout un tas dinfluences, comme lâge, le genre, la classe, ou la nationalité. Parmi ces influences il y a aussi la loi. En France, le droit des étrangers et le droit administratif régissent laccès des personnes étrangères aux titres de séjour lorsquelles sont dans des relations amoureuses avec des citoyen·nes français·es. Les personnes dans des relations mixtes (un·e citoyen·ne et lautre pas) doivent fournir des preuves de leur amour et de leur vie commune à ladministration pour espérer accéder à la légalité. Alors certes, collectionner les factures EDF et les photos de vacances pour pouvoir les montrer au préfet nest pas ce quil y a de plus romantique, et pourtant de nombreux couples mixtes se retrouvent chaque année à devoir justifier leur amour, sous la menace de lÉtat qui se fait juge de lintime et des sentiments.</em></p>
<p><em>Alors à quoi ça ressemble, lamour avec lÉtat au milieu ? Comment est-ce que la quête de régularisation infuse le quotidien des couples mixtes ? Et comment les preuves administratives dans les relations mixtes peuvent-elles contribuer à reproduire un amour genré, toxique, et cumulant dépendances affective et administrative ?</em></p>
<p><em>Cet article est une discussion entre trois femmes cis blanches (quon a poétiquement nommées B, C, D) qui relationnent ou ont relationné avec des hommes sans papiers, pour mieux comprendre les questions de domination qui se jouent dans les relations amoureuses mixtes hétérosexuelles. Plus particulièrement, on sest demandé quelles étaient les conséquences intimes du gouvernement des sans-papiers par la menace<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup>. Dans les entretiens qui suivent, plusieurs femmes évoquent les attachements contradictoires que ces obligations réelles ou anticipées font peser ou ont fait peser sur leurs relations amoureuses avec des hommes sans-papiers. Elles parlent de culpabilité blanche, de racisme ordinaire et de domination masculine. En tant quexpériences intimes de lingérence étatique, les relations mixtes nous invitent à questionner les manières dont lÉtat transforme lintime et érige des limites entre les amours acceptables et les inacceptables.</em></p>
<p><em>On a voulu collecter les témoignages de personnes sans-papiers dans des relations mixtes aussi, mais ça ne sest pas fait. Parce que nos réseaux sont surtout féminins, surtout blancs (quon se le dise), et parce que les copains ou ex-copains racisés de nos amies considèrent quils sont déjà assez scrutés dans leur couple pour en parler publiquement ici : leur perspective sur ce que ça fait dêtre en trouple avec lÉtat napparaît donc pas dans cet article. Ça nous a fait douter. On sest dit que cétait moyen de publier un article sur les couples mixtes en sappuyant uniquement sur lexpérience de nos amies blanches. En même temps, ya pas beaucoup de textes autour de nous qui parlent de relations mixtes entre militant·es blanc·hes et sans-papiers. Ça nous paraissait important de publier le peu de témoignages quon avait, aussi partiels et partiaux soient-ils. Cest un début, donc. Et qui sait ? Peut-être quà cette première lecture saggloméreront bientôt les témoignages dautres personnes concernées qui ne se sentent pas, ou peu, représentées ici.</em></p>
<p><img alt="" src="../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL1.JPG"></p>
<p><strong>C :</strong> Cétait une histoire très brève. On sest vus quelques mois et ça sest arrêté, parce que cétait trop prise de tête. Il y avait trop de décalage entre nous. Cest une personne qui pouvait dire « je taime » très vite, faire des grandes déclarations, et moi je ne suis pas habituée. Ça mavait séduite au début, ce côté sécurité affective que je navais pas trouvé dans dautres relations. Demblée cest rassurant quand on te dit « je taime » ou quand la personne en face de toi est prête à sengager, alors quelle te connaît à peine. Je lai rencontré au refuge<sup id="fnref:3"><a class="footnote-ref" href="#fn:3">3</a></sup> où il était accueilli. Il était en situation dinfériorité par rapport à moi parce quil navait pas de papiers, et pour moi cétait compliqué de mettre des limites à ses déclarations parce que je me sentais coupable. Je me disais : cette personne est dans une situation de merde et je me sens obligée de répondre à ses attentes. Javais conscience de mes privilèges et je navais pas envie den jouer, mais cétait compliqué. Je me suis laissée embarquer dans cette culpabilité et ça ma dépassée. Jai préféré arrêter la relation avant que ça aille plus loin.</p>
<p><strong>D :</strong> Comment ça sest passé la séparation ?</p>
<p><strong>C :</strong> Jai eu du mal à mettre fin à la relation, parce que cette personne ne comprenait pas que je ne voulais plus dune relation amoureuse, mais que je voulais garder notre relation amicale. Il est revenu à la charge souvent. Il ne respectait pas mes limites. Peut-être que je nétais pas assez claire, en tout cas on a fini par ne plus se parler du tout, parce que ça ne fonctionnait pas. Aujourdhui je me dis quon était dans une relation daide qui prenait beaucoup de place, dès le début. Administrativement pour lui cétait compliqué, donc moi je lui expliquais plein de choses, et ça ma épuisée. Cétait dur parce que javais limpression de laisser cette personne dans la merde, alors quelle avait dautres personnes-ressources, mais je culpabilisais quand même.
<strong>D :</strong> Il ta déjà fait des reproches par rapport à ça ?</p>
<p><strong>C :</strong> Non, jamais. Cest moi qui minvestissais dune mission. Lui, il me demandait des trucs mais sans vouloir être une charge. Moi jallais au-devant de ses demandes. Jétais dans une logique de sauveuse. Lautre chose compliquée cest quon vivait à Briançon. Cest tout petit comme ville, et moi je ne voulais pas que notre relation se sache, alors on se voyait dans des endroits où jétais sûre de ne croiser personne. Javais peur du regard des gens parce que jétais moi-même pas sûre de cette relation, ou de pourquoi jétais dedans. Javais tellement de questions dans la tête que je navais pas envie davoir en plus des regards extérieurs dessus. Cétait trop tôt. Cétait pesant au quotidien. Je navais pas le courage.</p>
<p><strong>D :</strong> Et tu penses que sans ces questions administratives taurais pu rester dans cette relation ?</p>
<p><img alt="" src="../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL2.JPG"></p>
<p><strong>C :</strong> Je pense, oui. Je me suis clairement dit : jai la flemme de membarquer là-dedans. Jai arrêté cette relation parce que jai déjà eu pas mal dhistoires compliquées avant, et javais plus le courage de recommencer. Cest une question dusure. Je me suis dit non, plus de lourdeur pour moi. Peut-être que sil ny avait pas eu de différence de statut entre nous ça aurait été plus léger et je me serais sentie daller plus loin, mais là ça me paraissait trop. Trop de problèmes trop tôt. Mais du coup je me demande comment ça marche pour les relations mixtes qui tiennent dans le temps. Comment vous avez fait vous au début, et comment vous faites maintenant ?</p>
<p>B: Moi je suis encore dans une relation mixte. On sest rencontré à Briançon. Il vivait là depuis longtemps quand je suis arrivée, il avait un lieu de vie, il avait son espace à lui, il ne venait pas de traverser la frontière, je pense que ça a aidé au début. Puis est venue la question de la régularisation et du PACS. Mélanger la question des papiers à lamour, cest compliqué. Est-ce que le PACS, cest juste une formalité administrative ? Ou une preuve damour ? Les deux se mélangent toujours. Au début, je pensais pouvoir dissocier le couple administratif et le couple amoureux, mais en pratique, ça ne fonctionne pas, en tout cas pas pour moi. Le problème avec le fait de commencer une procédure de régularisation, cest quil faut se projeter dans un engagement de plusieurs années. Cest-à-dire quil faut dabord prouver un an de vie commune, et la personne peut accéder à un titre de séjour dun an. Mais ce titre de séjour ne sera renouvelé que sil y a encore vie commune. Puis il aura un titre de séjour de deux ans, renouvelé sil y a vie commune. Et normalement, au bout de ces trois ans, il a un titre de séjour pluriannuel, de cinq ans, si tout va bien. Donc il faut se projeter sur au moins trois ans, voire plus. Ce qui est compliqué, cest de se dire que si jamais tu tengueules, si jamais tu ne peux même plus être ami·e avec la personne et que tu la quittes, alors il naura pas son renouvellement de titre de séjour. Et cela ajoute une autre dimension à la rupture. À Briançon jai rencontré une personne qui sétait mariée avec un gars sans-papiers qui avait eu ses papiers, et elle disait que dans ce genre de relations il y avait toujours au moins deux formes de domination : la domination des blanches sur les sans-papiers et la domination des hommes sur les femmes. Et donc chaque fois quon parle de culpabilité blanche, il y a aussi la question de lhétérosexualité et des structures patriarcales. Est-ce que je me sens coupable parce que je suis blanche ou parce que je suis une meuf ? Les deux. Mais si je refuse de me plier à tes demandes en tant que meuf, cest aussi une forme de domination.</p>
<p><strong>C :</strong> Oui, à cette question de culpabilité blanche se mêle aussi une culpabilité très genrée, celle dune meuf. On se remet en question constamment, on va toujours au-devant des besoins de lautre, on na pas envie que la personne se sente mal.</p>
<p><img alt="" src="../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL3.JPG"></p>
<p>B: Oui cest sans fin. Alors si les relations hétéros sont déjà prises de tête de base, cest sûr que relationner avec une personne sans-papiers ça rajoute des complications, et ça enlève beaucoup de légèreté. Il faut compter la soixantième facture en essayant de laisser un peu de place au romantisme. Dans mon couple, jai limpression quon aborde beaucoup ces questions. Peut être même quon les a trop abordées dès le début et que cétait vraiment lourd pour tous les deux. On a eu limpression que cétait impossible. Et puis la question des papiers, ça instaure aussi un doute permanent. Est-ce quil est avec moi pour avoir ses papiers ou est-ce quil maime vraiment ? En fait Z dans notre couple il est doublement surveillé : par ladministration et par moi, qui lui demande des preuves damour. Et ça je lai réalisé sur le tard, mais je sais que mes questionnements sur sa sincérité, sur son engagement, ça a été hyper dur à vivre pour lui. En même temps jaurais été naïve de ne pas me poser la question. Parce que ça existe, les mecs qui séduisent des femmes blanches pour les papiers. Et en même temps, il y avait de la méfiance par rapport à mes intentions à moi aussi. Il avait peur que je lutilise comme une caution militante. La méfiance, du coup, elle vient des deux côtés. Sauf que pour la personne sans les bons papiers dans le couple, la menace est triple : elle vient de ladministration (qui te demande des preuves de vie commune), de la personne avec qui tu relationnes (qui peut te larguer du jour au lendemain et te laisser dans une situation administrativement compliquée) et de son entourage, de sa famille et ses potes qui doutent parfois aussi de tes intentions. A tout ça se mélangent les différences de culture, de classe sociale, etc.</p>
<p><strong>D :</strong> Cest trop chiant parce que cest la période du couple où tes censée pas te prendre la tête, où tes amoureux·se et tout va bien, et ça se transforme en mal-être permanent.</p>
<p>B : Oui, et puis ça te met des contraintes énormes aussi. Prouver la vie commune à lÉtat ça veut aussi dire que tu dois être un·e bon·ne citoyen·ne. Tu peux difficilement vivre en squat, tu paies ton loyer, tes factures, tu gardes le ticket de caisse quand tu vas faire tes courses, tu es dans une course aux preuves permanente... Il y a des collectifs qui nous aident pour constituer le dossier quon devra déposer à la préfecture. Une personne dans un collectif mexpliquait que pendant notre entretien à la préfecture, il ny a que moi qui aurai le droit de parler, et pas Z. Cest jamais létranger qui parle, toujours la personne française. Cest terrible, cest aussi se dire que la personne étrangère, qui a fait tout ce chemin, doit passer par une autre personne pour recevoir ses papiers. Ça peut créer un sentiment de redevabilité qui peut être très lourd. Et puis il y a un peu un truc de « tu auras tes papiers si tu arrives à séduire une meuf blanche, si tu es un partenaire exemplaire ». Il y a pas mal de films qui mettent en scène une meuf française qui tombe amoureuse dune personne qui a pas les bons papiers. Et cest toujours une meuf qui soit a perdu son mari, soit est en dépression. Et le mec sans les bons papiers, cest le seul qui arrive à séduire la meuf, et donc il aura ses papiers parce que cest un bon partenaire, un bon mari (et donc un bon candidat à la citoyenneté)<sup id="fnref:4"><a class="footnote-ref" href="#fn:4">4</a></sup>.</p>
<p><strong>D :</strong> Au Planning Familial, jai rencontré un Nigérian sans-papiers qui vit en France depuis six ans. Il racontait quavoir une relation amoureuse avec une meuf blanche, cétait trop compliqué. Se mettre en couple avec une meuf blanche, pour lui, ça voulait dire se plier aux injonctions dintégration, se montrer en accord avec les valeurs de la République et tous les délires assimilationnistes jusque dans le quotidien, dans lintimité. Cest sadapter encore plus profondément à des façons de faire qui ne sont pas les siennes. En même temps il disait que les Nigérianes en France, elles ne sont pas intéressées par des relations amoureuses avec des mecs sans-papiers, parce que souvent ils nont pas beaucoup dargent, ils sont dans une situation précaire. Les Nigérianes qui viennent en France elles veulent autre chose. Du coup, pour eux, il ne reste plus grand-chose. Cest compliqué des deux côtés. Et beaucoup de personnes sans-papiers se retrouvent complètement en dehors des relations affectives et amoureuses hétérosexuelles.</p>
<p><img alt="" src="../images/02/est-ce%20que%20tu%20m'aimes%20vraiment/REL4.JPG"></p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Voir nimporte quel ouvrage de la sociologue Eva Illouz ou de Mona Chollet sur lamour.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Le gouvernement par la menace est une expression empruntée à Stefan Le Courant, dans son livre Vivre sous la menace : Les sans-papiers et lÉtat. Elle désigne lidée selon laquelle la peur de larrestation ou de la dénonciation, lhypervigilance et la conscience permanente du danger façonnent la vie des sans-papiers en France. Pour Le Courant, la menace « pousse à privilégier la solitude et la méfiance; elle transforme lenvironnement proche en un monde de signes potentiellement redoutables ».&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:3">
<p>Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire pour les personnes exilées qui traversent la frontière franco-italienne, à Briançon.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:4">
<p>Voir par exemple Samba (2014) ou Ils sont vivants (2022).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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<h2>Sommaire</h2>
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<li><a href="/lexique-appel-dair.html">Lexique : appel d'air</a></li>
<li><a href="/article2.html">Est-ce que tu m'aimes vraiment</a></li>
<li><a href="/le-pado-carnet-de-bord.html">Le Pado : carnet de bord</a></li>
<li><a href="/article4.html">Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</a></li>
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<title>ravages - Le Pado : carnet de bord</title>
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<h1><a href="/">ravages</a></h1>
<h2 id='site-subtitle'><div class="subtitle-box""">chroniques de luttes à la frontière franco-italienne</div></h2>
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<h2 class="entry-title">Le Pado : carnet de bord</h2>
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<p><em>Cest ouf un squat. Ça pue, ça craint, ça dépanne. Ça use et ça te sauve la vie. Ty as passé une semaine et tu dirais un an. Dans un squat tu pleures et tas peur. Tu dors, tu manges, tu troques ta doudoune. Tu décores ta chambre, tu danses, tu apprends des langues. Tu fumes. Tu te fâches à mort et tu tombes amoureux·se. Tu cours partout puis tout sarrête dun coup. Et tu glandes. Et tu tennuies. Et tu rigoles. Des mots très abstraits deviennent tellement concrets que ça fait mal, que ça fait du bien. Cest rageant et sidérant, ça te transforme. Des mots comme: répression, racisme, propriété. Insalubrité, faim, misère. Solidarité, amour, liberté.</em></p>
<p><em>Tellement de choses débiles ont été dites sur le Pado, tellement de calomnies. Sauf que, pendant deux mois au moins, cétait le seul lieu à Briançon où les gens qui passent la frontière pouvaient sabriter et se reposer quelque temps, avant de repartir. Cétait au moment où le Refuge Solidaire avait fermé parce quil y avait trop de monde, parce que cétait trop dur, parce que cétait « à lÉtat de sen occuper ». Et, quand le Refuge a rouvert ses portes, le Pado pouvait accueillir celleux qui sont mis·es dehors au bout des trois jours réglementaires de l «accueil inconditionnel», celleux qui ont besoin dun peu plus de temps pour repartir, celleux qui ne savent pas où aller. Mais tout cela sest arrêté un 13/12<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</em></p>
<p><em>Tellement de calomnies. Après lexpulsion, les propriétaires du bâtiment ont été jusquà pleurer devant les journalistes de la télé. « Nous avons prêté notre maison aux migrants et regardez ce quils en ont fait ! ». Mais iels navaient rien prêté du tout. Iels venaient cracher sur nous pendant loccupation (vraiment !), quand on essayait de leur montrer à quoi ça servait, pourquoi, à qui. Iels nous ont coupé leau et lélectricité. Iels ont harcelé le maire et le préfet pour quils nous foutent dehors le plus rapidement possible. Et iels lont récupéré de force, leur bâtiment inutilisé depuis des années, leur bel investissement immobilier. Iels lont récupéré en pleine trêve hivernale, quand il y avait encore une soixantaine de personnes quy habitaient et qui navaient pas dautres lieux où aller. Iels nous ont rien prêté du tout. Non, vraiment.</em></p>
<p><em>Mais soit. Nous sommes heureux.ses de publier ici quelques pages tirées du Carnet de bord du Pado, écrit par notre amie Zahra, qui au Pado a passé beaucoup de temps. Parce que ça rend bien ce que ce lieu a signifié pour nous, le souvenir que nous voulons en garder. Et il fallait bien que quelquun.e le dise enfin: quon peut se sentir bien dans un squat, comme si on était à la bonne place.</em></p>
<p><em>Lextrait que nous publions ici est tiré dun livre qui vient tout juste de paraître, qui sappelle Le Pado, Carnet de bord. Vous pouvez le trouver ici : <a href="https://murielleholtz.fr/">www.murielleholtz.fr</a></em></p>
<h4>22 septembre 2023</h4>
<p>Il pleut.</p>
<p>Depuis longtemps on lattendait, la pluie, dans tout le pays. Maintenant elle arrive, elle vrombit, renverse la Libye. La pluie arrive. Les bateaux aussi. À Lampedusa, quatre-vingt-dix-neuf embarcations accostent entre lundi et mercredi. 8 500 personnes débarquent sur les plages italiennes. LEurope saffole. Giorgia Meloni demande de laide. Von der Leyen dit «Oui mais pas lAllemagne, on a déjà assez donné». Darmanin dit «Non, nous naccueillerons pas tous les réfugiés de Lampedusa, nous renforcerons le dispositif de surveillance à la frontière franco-italienne».</p>
<p>Il fait nuit. Nous sommes agglutinés sous le barnum comme un nuage de mouches autour dun butin, sauf quil ny a pas de butin. Un groupe de sept personnes passe le portail. Dabord les conduire au free-shop. Changer les chaussettes, les tee-shirts — jamais à la bonne taille les pulls, les chaussures jamais assez grandes. Puis proposer un bol de riz — il ny en aura jamais assez pour toute la nuit et indiquer un endroit pour dormir. Au mieux, une chambre avec un lit, au pire, un recoin.</p>
<p>Tu ne peux prendre quune couverture, sinon il ny en pas assez pour les autres, tu comprends. Nous montons les escaliers qui mènent au grenier. À la lumière dune frontale, nous essayons de trouver une place libre. Les corps se tournent, grognent un peu. Se rendorment.</p>
<p>Au fond de la pièce, on distingue un petit espace. Il me regarde. Je suis désolée, ya rien de mieux. Entre les couvertures qui servent de matelas, leau coule. Il y a deux grands trous dans le plafond. Il pleut.</p>
<h4>Jour 2</h4>
<p><strong>Depuis quand il a ça ?</strong></p>
<p><strong>Le bateau.</strong></p>
<p><strong>Vous avez traversé à Lampedusa ?</strong></p>
<p><strong>Oui</strong>.</p>
<p><strong>Et la blessure, elle saggrave ou elle guérit ?</strong></p>
<p><strong>Elle guérit.</strong></p>
<p><strong>Ok. Dis-lui que je ne suis pas infirmière, mais que je peux changer son pansement sil veut.</strong></p>
<p>Il traduit.</p>
<p><strong>Daccord.</strong></p>
<p>Je fouille dans les placards de Médecins du monde, puis dans ceux des autres pièces et reviens avec des compresses, du désinfectant et une bande. Je commence à enlever son pansement. La peau est accrochée à la bande. Jy vais tout doux. Ça lui fait mal. Un dernier tour et hop. Il y a un énorme trou sur le dessus du pied. La chair est à vif. Ça mimpressionne. Je cherche la compresse, louvre. Mes gestes sont hésitants.</p>
<p><strong>Je peux le faire si tu veux.</strong></p>
<p><strong>Quoi ?</strong></p>
<p><strong>Le pansement.</strong></p>
<p><strong>Ah oui ?</strong></p>
<p><strong>Oui, jai fait des études de médecine.</strong></p>
<p><strong>Ah ben bien sûr, vas-y.</strong></p>
<p>Il finit douvrir la compresse.</p>
<p><strong>Combien dannées de médecine ?</strong></p>
<p><strong>Deux ans.</strong></p>
<p><strong>Avec des stages ?</strong></p>
<p><strong>Oui, aux urgences. Puis il y a eu la guerre.</strong></p>
<p>Il prend le gel posé sur la table et le verse sur la compresse.</p>
<p><strong>Euh, ça, cest pas du désinfectant, cest du gel hydroalcoolique.</strong></p>
<p><strong>Ah ok.</strong></p>
<p>Il rit.</p>
<p><strong>Tu peux me tenir ça ?</strong></p>
<p><strong>Oui bien sûr. Je suis ton assistante.</strong></p>
<p>Il rit. Il verse le vrai désinfectant directement sur la plaie et presse fort avec la compresse sur la chair à vif. Son ami rit. De douleur. Puis il lui fait un pansement magnifique. On ne trouve pas de ciseaux pour couper le bandage. On utilise un couteau plein de beurre.</p>
<p>Made in China, Export to Europe, to US, to Afrika. Ils ont traversé le monde avant darriver ici, les vêtements. Les corps aussi. Soudan, Sénégal, Tunisie, Turquie, Guinée, Libye, Maroc. Et maintenant, ils sèchent. Les vêtements. Les corps aussi. Et lespoir aussi peut-être. Allongés sur le bitume du terrain de basket, certains sont avachis sur des chaises et attendent. De largent, des papiers, de la nourriture, un appel. Rien. Ou quelquun.</p>
<p>Du riz, des épices, de lhuile, du sucre, du sel. Cest la réserve du squat. Le magasin comme disent certains. Fermé par un cadenas. Dont le code change chaque jour. Brosses à dent, savon, pain, légumes, patates, riz, semoule, sucre, poivre, lait aussi et de la sauce tomate. Parfois biscottes, sardines, oignons. Cest aussi là quil y a les clefs des véhicules et les papiers police.</p>
<p>Ça, ce sont des papiers pour dire que vous demandez lasile. Même si vous ne voulez pas demander lasile en France, vous remplissez ce papier. Si la police vous arrête, vous le montrez et vous dites Je veux demander lasile. Cest une toute petite protection, cest pour le train ou le bus. Mais ça ne
marche pas à Briançon. Ici les flics ont plus de droits quailleurs.</p>
<p>La pluie coule le long de la montagne, en gouttelettes, en rus, en rivières, en torrents, en fleuve, en Durance. Si abondante, quelle devient rigoles dans la ville. Cest avec elle quon remplit des caisses en plastique rouge et quon lave tout. Les vêtements, les couverts, les assiettes, les visages, les mains, les culs. Elle est très froide et toute grise cette eau qui coule dans les rigoles. Qui ne coule pas dans les douches. Ni dans les éviers. Ni dans les toilettes. Depuis le début de loccupation, le maire et le propriétaire ont donné lordre de couper leau. Pas deau courante dans le bâtiment. Pas deau du tout. Le squat sappellera donc le Pado.</p>
<p>Elle était grosse sa colère. Les yeux révulsés, les lèvres tremblantes, tout le corps tendu, il criait «wakhed wakhed, un par un, un par un, sinon on ne sert pas !» Mais personne ne lécoutait. On craignait quil ny ait pas assez de bouffe pour tout le monde alors on se bousculait pour tenter dêtre servi en premier. Et lui était si en colère quà un moment il a dit «Stoooop». Avec ces cernes violets sous les yeux et ses lèvres tremblantes, il a dit «Stooop ! On remballe !» Tout le monde sest figé. Un grand froid. On ne va pas être privés du repas du soir quand même. Il sest tourné vers les autres bénévoles du Refuge<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup> et a dit «On remballe, on ne sert pas, trop de bousculades, cest dangereux, on na pas le choix, on remet tout dans le fourgon». Et aussitôt disparurent les grandes casseroles de riz et de sauce. Et les plats de tartes. Il y avait de la tarte aux pommes ce soir-là. On est resté.e.s sans voix un temps et puis quelquun a dit «Écoute, ce nest pas possible, il faut absolument quon serve le repas de ce soir sinon la nuit va être ingérable». «Bon alors, il faut mettre quelque chose pour obliger tout le monde à faire une file, une seule ligne, un par un, wakhed, wakhed». Deux caddies remplis de poubelles furent placés devant les tables de distribution. Une ligne sest formée. Les cantinières réapparurent. Dabord une louche de riz pas trop grosse la louche, il faut quil y en ait assez pour tout le monde puis deux cuillères de sauce. Et par-dessus, un morceau de tarte. Plus tard le fourgon est reparti avec les casseroles vides, sa colère et sa fatigue.</p>
<h4>23 septembre</h4>
<p>Aujourdhui 23 septembre au Pharo de Marseille, le pape a dit «Considérons ceux qui se réfugient chez nous comme des frères et non comme des fardeaux à porter». Son discours a fait le buzz sur le net. Le Monde la même publié en entier. Le monde a applaudi le pape. Ici, les paroissiens ont prêté leur terrain durant quinze jours. Puis cétait la rentrée scolaire. Ils ont exigé que les tentes soient évacuées pour que léglise Sainte Catherine reprenne ses activités.</p>
<p>Chaque soir, à 20:03, un train va de Briançon à Paris. Direct. En douze heures, douze arrêts, une nuit.</p>
<p><strong>Mais ils vont où ?</strong></p>
<p><strong>À Paris.</strong></p>
<p><strong>Et après ?</strong></p>
<p><strong>Certains rejoignent la famille, dautres rejoignent des amis.</strong></p>
<p><strong>Ça me fait bizarre dêtre là. Ça me fait penser aux SS.</strong></p>
<p><strong>Vous venez darriver ici ?</strong></p>
<p><strong>Oui, je viens de Marseille.</strong></p>
<p><strong>Et vos pistolets ?</strong></p>
<p><strong>Bah… on est la police ferroviaire, donc on a des armes.</strong></p>
<p><strong>Et donc votre mission…</strong></p>
<p><strong>Cest dintervenir sil y a des personnes qui nont pas de tickets.</strong></p>
<p><strong>Mais vous les sortez de force ?</strong></p>
<p><strong>De force, pas vraiment. Quand on leur dit de sortir, ils sortent tout de suite. On na pas besoin dutiliser la force, ils nous suivent, cest tout. Et puis des fois, on ferme les yeux. Ou bien on leur dit que dans une demi-heure il y aura un autre train et quils peuvent le prendre. Voilà.</strong></p>
<p>Silence.</p>
<p><strong>Cest bien ce que vous faites.</strong></p>
<p><strong>On fait ce quon peut.</strong></p>
<p><strong>Bon, je vais leur dire au revoir. Avec certains, on tisse des liens.</strong></p>
<p><strong>Pourquoi, ils restent longtemps ?</strong></p>
<p><strong>Ça dépend. Certains restent quelques heures, dautres plusieurs jours.</strong></p>
<p><strong>Et pour les billets ?</strong></p>
<p><strong>Parfois ils ont de largent ou alors ce sont les familles ou les amis qui paient. Dautres fois, on paie avec de largent collectif. Mais on na pas grand-chose. En plus la mairie coupe lélectricité et leau. Bon jy vais.</strong></p>
<p><strong>Ok. Attention de ne pas rester dans le train.</strong></p>
<p><strong>Oui.</strong></p>
<p>Plus tard - chemin du retour lune presque ronde.</p>
<p><strong>Tes pas arrivé à passer ?</strong></p>
<p><strong>Non, trop de policiers.</strong></p>
<p><strong>Tu veux aller à Paris ?</strong></p>
<p><strong>Non, je veux aller à Toulouse.</strong></p>
<p><strong>Alors tu ne dois pas aller à Paris, tu dois aller dabord à Grenoble, en bus, puis ensuite à Toulouse.</strong></p>
<p><strong>Ah bon ? Dabord le bus ?</strong></p>
<p><strong>Oui. Regarde.</strong></p>
<p>Je marrête et dessine une petite carte de France dans mon carnet. Ici Paris, ici Briançon et voilà Toulouse.</p>
<p><strong>Ah daccord.</strong></p>
<p><strong>On reprend notre route, le long de la Durance.</strong></p>
<p><strong>Tu veux faire quoi à Toulouse ?</strong></p>
<p><strong>Je veux finir mes études.</strong></p>
<p><strong>Tes études de quoi ?</strong></p>
<p><strong>De médecine.</strong></p>
<p><strong>Ah mais cest toi ! Désolée, je tai pas reconnu.</strong></p>
<p>Il rit.</p>
<p><strong>Ce nest pas grave.</strong></p>
<p><strong>On ta cherché tout laprès-midi. On a besoin de médecins comme toi ici. Tu ne veux pas rester un peu ?</strong></p>
<p><strong>Peut-être que je reviendrai, mais dabord je dois passer mon diplôme et après peut-être que je reviendrai, venir aider. Il y a tant de gens qui sont blessés.</strong></p>
<p><strong>Et ton ami avec son pied, il part avec toi ?</strong></p>
<p><strong>Non, il reste ici. Moi je partirai demain. Dabord le bus pour Grenoble puis le train pour Toulouse, comme tu as dit.</strong></p>
<p><strong>Tu vas voir, cest beau Toulouse, il y a un grand fleuve, comment tu dis un fleuve ?</strong></p>
<p><strong>El oued.</strong></p>
<p><strong>Un grand el oued et beaucoup de musique. Cest a pink town.</strong></p>
<p><strong>Pink town ?</strong></p>
<p><strong>Oui les murs sont tout rose.</strong></p>
<p>Il rit.</p>
<p><strong>Tu seras bien là-bas.</strong></p>
<p><strong>Inchallah.</strong></p>
<p>Plus tard encore, la nuit est tombée. Repas bien organisé, pas de bagarre, pas de cris, pas de fâcherie, pas de bousculade, une file, wakhed wakhed. Et il y a eu assez à manger pour tout le monde. Pour deux cents personnes. Tout va bien.</p>
<p>Encore plus tard, prendre ni papier, ni téléphone. Baisser tous les sièges du coffre. Partir en deux voitures. Prendre à droite après la station-service. Entrer dans la cour de limmeuble, tous phares éteints. Couper les moteurs. Se faufiler vers la porte entrouverte. Louvrir en grand, sans faire de bruit. Et remplir. Remplir nos bras de couvertures, de balais, dassiettes, puis remplir les coffres, les remplir à ras bord, de seaux, de pelles, déviers, de coussins, de louches. Vider lhôtel abandonné pour remplir nos coffres. À bloc. Puis fermer les portières tout doux, sans faire de bruit, sans rien dire. Démarrer. Rouler. Tranquille. Tout doux. Croiser une voiture de police. Rouler, tranquille. Arriver au Pado. Tout décharger sous le barnum.</p>
<p>Et puis danser. Danser sous la demi-lune. Danser la vie au milieu du froid parce quaujourdhui on a vidé le coffre-fort de la ville pour garnir notre château-fort de marmites et de couvertures. Et ça cest bon. Et ça sonne juste. Cest la vie qui déborde pour de vrai. Cest un putain de shoot comme jen ai jamais connu. Enfin si, peut-être, mais pas pour les mêmes raisons. Pas pour le même mot. Pas pour ce sentiment entier, dense, compact, solide, solidus, solidarité.</p>
<h4>25 septembre</h4>
<p>Aujourdhui est un jour particulier. Il parait que ce nest pas souvent, que cest rare et cest aujourdhui. En même temps que la députée serre la main du maire, en même temps que le soleil grandit dans le ciel, en même temps quun groupe de cinquante personnes se prépare à prendre le bus pour Grenoble ; aujourdhui dans toute la ville, les policiers interpellent ; dans les rues, hop, embarqués, devant la gare, hop, embarqués, dans le square, hop embarqués, direction le commissariat. On fait une manif, on va devant le comico ? On est combien ? On sera dix. Et alors ? Pas le temps, il faut réparer le toit, gérer la réserve, trouver dautres couvertures, faire la récup des invendus… Hier, Darmanin à envoyé 84 policiers, gendarmes et militaires supplémentaires à la frontière. Aujourdhui est un jour particulier. Cest jour de rafles.</p>
<p><strong>Tu pars aujourdhui ?</strong></p>
<p><strong>Oui, jai le billet.</strong></p>
<p>Jaime bien cet homme. Cest le plus vieux du campement. Peu de dent. Un grand sourire. Veut souvent du sucre ou de lhuile.</p>
<p><strong>Comment on va faire sans ton sourire.</strong></p>
<p><strong>Il rit.</strong></p>
<p><strong>Tu vas où ?</strong></p>
<p><strong>Paris.</strong></p>
<p><strong>Ok. Alors bonne chance.</strong></p>
<p><strong>Je veux manger avant de partir ?</strong></p>
<p><strong>On na plus rien. Je suis désolée.</strong></p>
<p>On na plus rien, plus de pain, plus de matelas, plus de place, plus de riz, plus dhuile, plus de sucre, ah si on a encore du sucre. Bientôt, on sera peut-être expulsé.e.s, plus de bâtiment, plus de dodo. Sorry. On na plus rien et chaque nuit cinquante personnes arrivent. Et chaque semaine, plus dune centaine de personnes traversent la frontière. Et chaque seconde est puissante comme une minute, chaque minute comme une heure, et chaque heure est une journée entière. Cest doux et terrible. Cest si intense. Est-ce que tu entends la lumière de ce lieu ? Je veux dire la lumière, je veux la partager, comme nous partageons notre humanité, nos déceptions et nos espoirs. Dire la lumière et le temps, ici, tranchant et indomptable. Comme la montagne.</p>
<h4>Jour je sais pas combien</h4>
<p>9h du matin. Bus station. Distribution de thé, chocolat chaud et petits pains par les bénévoles du Refuge.</p>
<p><strong>Il faut leur dire quils ne doivent pas manger dans le bus.</strong></p>
<p><strong>Mais on vient de leur donner des sandwichs et ils ont faim.</strong></p>
<p><strong>Oui, mais ils ne peuvent pas manger dans le bus, cest le chauffeur qui la dit. Il faut aussi leur dire de ne pas faire caca dans le bus.</strong></p>
<p><strong></strong></p>
<p><strong>Oui, il parait quy en a un qui a fait caca dans un sac plastique. Donc il faut leur dire de ne pas faire caca dans le bus.</strong></p>
<p><strong>Mais sil a fait caca, cest parce quil nétait pas bien.</strong></p>
<p><strong>Ils nont quà demander au chauffeur de sarrêter. Et puis cest deux heures le trajet, ils peuvent bien se retenir.</strong></p>
<p><strong>Euh… demander cest pas si simple, et deux heures, cest long quand tes malade. Si quelquun a fait caca dans un sac plastique, cest parce quil navait pas dautres choix. Pas la peine de dire à tout le monde de ne pas faire caca dans le bus.</strong></p>
<p>Haussement dépaules.</p>
<p>Ce soir, toute la ville est illuminée. Du violet dans les douves du fort Vauban, du doré pour le clocher de la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Nicolas, des candélabres pour le chemin de ronde, des spots multicolores dans les bars de la ville et une jolie petite guirlande dans le jardin du voisin. Ce soir toute la ville est illuminée. Sauf au Pado.
Au Pado, cest le noir total. Plus de jus. Ce matin le maire a donné lordre de couper lélectricité du bâtiment. Plus de lumières, plus de prises électriques, plus moyen de charger les téléphones, donc
plus de wifi, donc plus de prises de billets, plus de allô mama, allô khuya, tout va bien. Dans le ciel,
la lune magnifiquement pleine. Sur mes lèvres, un baiser de Ragnar. Eldid. Une étincelle.</p>
<h4>Jour daprès.</h4>
<p>Il y a ceux qui partent. Puis il y a ceux qui restent, qui nont nulle part où aller. Alors certains investissent leur chambre comme un petit appartement. Djamila a établi campement avec son mari dans lancien logement du professeur. Lambris, plancher, table basse, couvertures brodées, porte-chaussures, salle de bain avec miroir, trousse à maquillage, brosse à cheveux, shampoings, gels douches et baignoire. Manque juste leau.</p>
<p>De retour des urgences.</p>
<p><strong>But I didnt understand how to do it.</strong></p>
<p><strong>You open this thing and you put that here.</strong></p>
<p><strong>Where ?</strong></p>
<p><strong>Here, in your ass.</strong></p>
<p><strong>My ass ?</strong></p>
<p><strong>Yes in your ass. You go in your bed, you raise your legs and then tchouk.</strong></p>
<p><strong>Tchouk ?</strong></p>
<p><strong>Yes.</strong></p>
<p>Rires.</p>
<p>* * *</p>
<p>Chaque soir, Merwan sinstalle dans la cour et met de la musique sur une petite enceinte. Dabord il écoute ses chansons préférées assis. Puis soudain ça arrive toujours à un moment ou à un autre il se lève et se met à battre des ailes. Il vole dans le ciel des Alpes. Une alouette, un aigle, un gypaète
barbu. Alors on forme un cercle autour de lui et on tape des mains. Il lève les genoux, puis les bras, de plus en plus haut, de plus en plus vite. Il vole. Ses doigts tremblent. Et soudain ça arrive toujours à un moment il pique vers le sol, racle le bitume avec sa main, se relève aussitôt et se remet à voler, encore plus haut, encore plus vite. Chaque soir, à la lumière de la lune, dune bougie ou dune frontale, Merwan vole. Il ne fait pas partie de ceux qui pourront demander lasile. Il na nulle part où aller. Son pays à lui, cest la danse. Guedra.</p>
<p>Cette nuit, un camion entier est arrivé dAveyron. Un camion rempli doignons, de légumes, de patates, de pots de miel, de sauce tomate, de ratatouille, de confiture. Il y a aussi du couscous, du riz, un énorme tas de fringues et des chaussures, belles, presque cirées. On se chamaille pour prendre les vestes. Ce soir, un camion entier est arrivé des fermes aveyronnaises. Et pour le moment, cest lopulence. Ça ne durera quun jour. Mais pour le moment, cest lopulence.</p>
<p>Moi, jétais au Cambodge et au Tchad. Les ONG, là-bas, elles ont tout : leau, lélec, des tentes. Mais ici, cest complètement dingue, y a personne. Y a que les anarchistes qui soccupent des réfugiés. Cest pour ça que je suis là, pour voir comment vous faites.
Fabienne, chercheuse en sociologie.</p>
<p>* * *</p>
<p>Et ce matin je néchappais à la sensation que nous étions en train de gérer ces personnes comme du bétail, à faire disparaître, à cacher, à faire embarquer le plus vite possible, le plus loin possible dici. Pourtant cétait bien ça quils nous demandaient tous, sortir de la ville, disparaître, ne pas être visible, ne pas se faire remarquer, going away, go to Paris. But you know Lyon is not so good and Marseille too, go to a little town you understand me ? La conversation se répétait à linfini. Mais vers où les guidions-nous ? Vers le mieux ? Vers le pire ? Que connaissait-on des villes pour lesquelles on payait des tickets ? Pire que le Pado, y a quoi ? La rue. On les envoyait donc à la rue, cétait donc ça ? Tiens, voilà ton ticket, un aller sans retour pour le campement sous le pont dAusterlitz. Oh my god. </p>
<p>Et ce matin je néchappais pas à la sensation que nous étions en train de contenir une explosion, une colère, une immense injustice. Et je rêvais que tout cela explose à la face de la ville, du pays, du monde entier, plutôt quil nimplose dans le cœur de notre paquebot, de notre radeau, de notre Pado.
Et je rêvais que certains restent, que lon vive tous ensemble, que lon fasse une grande maison du peuple, ici, à Briançon. Et partout ailleurs. Et je rêvais que certains restent, mais pour lheure cétait moi qui partais.</p>
<p>Ragnar, je vais retourner dans les Cévennes, demain, avec Marlène et Abdel. Il y a une place pour toi dans leur voiture si tu veux. Tu verras la rivière, les chênes verts, les moutons. Je te présenterai mes amis. On mangera un gros poulet chez Ahmed. Peut-être que tu pourras trouver du travail là-bas. Mais moi je vais pas rester dans les Cévennes. Je vais prendre ma voiture et revenir, ici, au Pado. Ok, je vais venir et après je vais aller en Espagne. Et jallais perdre mon meilleur allié. Pas pleurer. Ok. Tu vas me manquer. Moi aussi. Yallah. </p>
<h4>Jeudi 4 octobre</h4>
<p>En deux jours, le camp a déjà changé. Plus de chaîne sur le portail. Les infirmières refusent désormais dentrer dans le squat. Elles soignent entre deux voitures. Plus de cadenas dans la réserve qui est quasiment vide. Reste juste du sucre, un peu de riz, un chouia dhuile et beaucoup de thé. Babou est content de me revoir. Moi aussi. Il comprend vite que ma voiture est remplie dhabits. En moins de deux, il chope un tee-shirt et une veste. Il voudrait aussi des chaussures et prendre une douche avant de partir pour Marseille. On verra plus tard. Une autre personne me réclame des vêtements, mais aucun nest à sa taille. Un marocain me demande de laide pour partir, mais il na pas dargent. Je lui dis de venir au bus de 3h, on essayra de trouver une solution. Il fait doux, très doux. Toutes les portes du Pado sont ouvertes. Laccueil est devenu un hotspot. Une petite foule est agglutinée autour de deux multiprises alimentées par une batterie. </p>
<p>Plus assez de place pour dormir au sol. Adama est allongé sur une table.</p>
<p><strong>Et comment on fait pour la connexion.</strong></p>
<p><strong>Quelle connexion ?</strong></p>
<p><strong>Le réseau, y a plus de réseau.</strong></p>
<p><strong>Alors il faut faire la prière.</strong></p>
<p><strong>Ah bon, y a que ça ?</strong></p>
<p><strong>Et oui y a que ça.</strong></p>
<p><strong>Alors je vais faire les louanges.</strong></p>
<p>On rit.</p>
<p>Plus tard.</p>
<p><strong>Ça marche maintenant ?</strong></p>
<p><strong>Oui.</strong></p>
<p><strong>Tu vois, ça marche toujours la prière.</strong></p>
<p><strong>Oui, surtout les louanges.</strong></p>
<p>On rit.</p>
<p>Youpi ! On a gagné ! Le juge a tranché. Cessation temporaire de toute hostilité. Les policiers ne peuvent plus venir ici. Le proprio peut bien se fâcher, ça ne servira à rien puisquon a gagné ! On ne peut plus être expulsé. On peut rester jusquau 31 mars. On a trêve hivernale !</p>
<p><strong>Tu sais combien de morceaux de bananes jai distribué ce soir ?</strong></p>
<p><strong>Non.</strong></p>
<p><strong>Thalata mia wa arba wa sitin.</strong></p>
<p><strong>Euh… 263 ?</strong></p>
<p><strong>Non, 363.</strong></p>
<p>* * *</p>
<p>Finalement Babou nest pas parti, le mec du Blablacar a refusé de le prendre parce quil na pas de papiers. Gloubs. Viens Babou. On va te chercher des chaussures. </p>
<p>Petit Yaya qui vient de Côte dIvoire ne sait pas où aller. Jappelle la maison des solidarités à Saint-É.</p>
<p><strong>Non il faut pas nous les envoyer parce quici 90% des reconnaissances de minorité sont refusées. Et puis ils prennent les empreintes, donc les mômes sont fichés.</strong></p>
<p><strong>Mais ils peuvent changer de ville pour faire un recours, non ?</strong></p>
<p><strong>Oui, mais là y a vraiment du monde.</strong></p>
<p><strong>Mais je lui dis daller où ?</strong></p>
<p><strong>Franchement je ne sais pas. Je voudrais pas prendre la responsabilité. Et puis on comprend pas tout. Certains ont donné leurs empreintes ici et là et finalement ça marche, et pour dautres dont le dossier est très bien, ça ne marche pas. Donc y a pas de règles. Seulement la chance.</strong></p>
<p>Ce soir la distribution de sandwichs à la gare était bien organisée. Deux par deux. En rang, debout. Propres, pas déborder. Ça ma fait chier. Nous ne sommes pas une agence de voyage, alors faisons le bordel, prenons lespace, encore plus. Mais si ! Débordons, crions, chantons !</p>
<p>Me manque Ragnar. Me manque beaucoup.</p>
<h4>10 octobre, 6:39. Message vocal.</h4>
<p><strong>«Oui bonjour Madame, cest William. Il y avait pas de connexion dans le bus. Nous sommes à la gare de Strasbourg maintenant, on a trouvé votre collaborateur Camille. Merci merci merci. Elle est en train dessayer de nous gérer comme vous avez dit. Maintenant, on va arriver en Allemagne. Je vais vous appeler après sil vous plaît.</strong></p>
<h4>12:01.</h4>
<p>Je reçois une photo souvenir de lui, Fansi et moi à Briançon. Puis une autre de lui, Fansi et Camille qui les a attendus à la gare de Strasbourg à 5:55, pour les conduire au Flixbus pour Magdeburg.</p>
<h4>20:45.</h4>
<p><strong>Bonsoir madame, le contrôleur du train a dit que les billets ne sont pas bons mais grâce à dieu nous sommes bien arrivés. Merci merci merci merci au moins mille fois.</strong></p>
<p>Ce soir-là, une bagarre éclate, vol de téléphone encore une fois. </p>
<p>Ce soir-là, discussion avec Moubarak, architecte qui a dessiné un plan de réaménagement du Pado. </p>
<p>Ce soir-là, chansons dans la cour, en anglais, en colombien, en soudanais. </p>
<p>Ce soir-là, leçon darabe sous le ciel étoilé. </p>
<p>Ce soir-là, Ragnar devant moi.</p>
<p>Je veux pas aller en Espagne. Je veux aller avec toi.</p>
<p>Je plonge dans ses bras comme dans une maison.</p>
<p><strong>Je peux écrire quelque chose dans ton carnet ?</strong></p>
<p><strong>Oui ok.</strong></p>
<p><strong>Ici ?</strong></p>
<p><strong>Non, ça cest la carte de France, fais-le ici, sur cette page.</strong></p>
<p><strong>Daccord.</strong></p>
<p>Il écrit.</p>
<p>Je lis.</p>
<p>Il reprend le carnet.</p>
<p><strong>Attends je vais corriger, je veux mettre des petits légumes.</strong></p>
<p><strong>Des légumes ?</strong></p>
<p><strong>Oui des petits légumes audessus du mot, voilà comme ça.</strong></p>
<p><strong>Ah, des guillemets.</strong></p>
<p>Fou rire</p>
<p>* * *</p>
<p><strong>Je vous appelle de Lyon où nous sommes bien arrivés. God bless you. Youre my angel.</strong></p>
<p>Quand ils me disent cela, je fonds, tout fond en moi. Les larmes pointent aussi. Parce que je me dis que nous sommes saufs, lui, moi, eux, nous, nous tous qui ne faisons quun, nous sommes saufs. </p>
<p>À chaque fois quils moffrent ces mots, je fonds dun amour immense, pour eux, eux qui moffrent leur confiance, leur sourire, leur rire. Et leur grande vulnérabilité me semble être une puissance merveilleuse, une grande puissance dhumanité. Quand ils parviennent à leur but, à lendroit quils visent depuis des milliers de kilomètres, quand ils mappellent pour me dire quils sont bien arrivés, alors tout en moi fond. </p>
<p>Ne reste plus quune immense flaque de joie, un lac de joie dans mon poitrail, un fleuve de tendresse qui minonde dun nouveau courage. Et la sensation dêtre pile à la bonne place.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Voir les Brèves. Toutes les notes sont à la... euh... «rédaction»?&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Pendant la période où il avait fermé ses portes à laccueil, le Refuge Solidaire préparait des repas que ses bénévoles venaient distribuer dans la cour du Pado. Le Refuge organisait aussi des distributions de nourriture à la gare, comme il est dit plus loin dans le texte.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
</div>
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<h2>Sommaire</h2>
<ul>
<li><a href="/breves02.html">L'année 2024 vue d'ici</a></li>
<li><a href="/lexique-appel-dair.html">Lexique : appel d'air</a></li>
<li><a href="/article2.html">Est-ce que tu m'aimes vraiment</a></li>
<li><a href="/article3.html">Le Pado : carnet de bord</a></li>
<li><a href="/article4.html">Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</a></li>
<li><a href="/calais-ca-existe-le-deuil-solidaire.html">Calais : ça existe le deuil solidaire ?</a></li>
<li><a href="/remerciements.html">Remerciements</a></li>
<li><a href="/pdf/num_01.pdf">Télécharger</a></li>
<hr>
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121
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<title>ravages - Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</title>
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<h1><a href="/">ravages</a></h1>
<h2 id='site-subtitle'><div class="subtitle-box""">chroniques de luttes à la frontière franco-italienne</div></h2>
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<h2 class="entry-title">Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</h2>
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<p><em>Upupa en Italien signifie huppe. Une huppe en Français cest un oiseau migrateur, au regard sombre et au plumage bariolé (blanc, orange et noir). Mais Upupa cest aussi le nom dun Info-point situé à Vintimille, ville italienne à la frontière avec la France, devant le grand campement de la Via Tenda, sous le pont de lautoroute. Créé par plusieurs collectifs locaux, cest le seul endroit vraiment ouvert à toustes, dans cette ville où, même pour accéder à la bibliothèque, il faut montrer un document didentité.</em></p>
<p><em>Des copaines de Vintimille nous racontent le quotidien dUpupa, à travers les voix des personnes qui fréquentent le lieu. Écrit à plusieurs mains, il est entre le recueil dhistoires, la narration et la mise en mots dun imaginaire collectif. Ce que vous vous apprêtez à lire ne se veut ni exhaustif, ni représentatif du lieu, de sa complexité et de lénergie quil contient.</em></p>
<p><img alt="" src="../images/02/upupa/tente.jpg"></p>
<p>Vintimille, un jour quelconque dun mois quelconque. </p>
<p>Il nest pas encore deux heures de laprès-midi et Gaï est déjà assis sur le muret en face dUpupa, à côté de sa trottinette. On est dimanche et cest son deuxième jour de repos. Demain il va retourner à Albenga pour le travail.</p>
<p>« Upupa is good for everyone, for migrants and for people living here. Upupa is the most important help, without Upupa people would be suffering. Without it they will not have a place. »</p>
<p>À deux heure trente arrive Mustafa, à lheure comme toujours, avec les clés. Depuis quelques semaines, il est chargé douvrir le local et de tout ce que cela implique. Cette nuit il a bossé et il sest aperçu seulement au matin que sa tente était complètement inondée, à cause de la rivière qui
a débordé après les fortes pluies.</p>
<p>Ce matin Mustafa a mis un message sur le groupe Whatsapp-Upupa pour demander une nouvelle tente. Coup de bol, nos stocks sont pleins de matériel arrivé il y a quelques jours de Paris.</p>
<p>«Je ne peux que remercier Upupa, parce que le jour où je suis arrivé ici je navais rien, et ici jai trouvé tout ce dont javais besoin. Des fois les gars ils font un peu le bordel, on en parle et après ça sarrête.»</p>
<p>Trois heures et demie. Abdkader arrive depuis le pont, exhibant le dégradé flambant neuf de ses cheveux.</p>
<p>«Upupa cest beau. Au moins on peut boire le café, charger le téléphone, il y a des vêtements, de leau, la tondeuse pour les cheveux, des assiettes pour manger, on peut cuisiner, des fois se faire un shampoing, il y a des choses pour se laver, du savon, des couvertures et des tentes, on peut faire venir les amis. On peut prendre de leau pour lamener sous le pont, il y a la wi-fi, tout est wallah. Upupa cest ma deuxième maison wallah. Mustafa est vraiment cool. On respecte les personnes ici, moi je fais pas de bordel ici.»</p>
<p>Ses cheveux cest Mohamed qui les a coupés, sous le pont, avec une tondeuse récupérée on ne sait pas où. Des salons de coiffure improvisés on en a vus plein: avant cétait même très structuré, avec un gars qui venait exprès pour couper les cheveux à tout le monde, avec chaise, tondeuse, brosse, laque, gomine et tout. Maintenant, cest un peu plus improvisé, on coupe dans le local au milieu des gens, avec les cheveux qui tombent dans les tasses de café. Ou alors sur le parking, entre les flics et Médecins sans Frontières.</p>
<p>Mohamed est dans le coin depuis un mois. Il parle très bien espagnol, ce qui lui permet dinteragir avec nous, les européen.nes. Il a pas la langue dans sa poche, il dit les choses même si ça fait pas plaisir. Il ne va pas nous peindre un joli tableau du lieu, il va rien peindre du tout en fait: «Le local a besoin de quelque changement. Il faut un responsable qui soit là dès louverture et jusquà la fermeture. Une personne qui puisse parler avec les gars quand ils font du bordel et avec les voisins quand ils viennent se plaindre. Lendroit doit être plus propre, parce que si un responsable de la mairie ou une personne de pouvoir vient et voit les dessins sur le mur, elle va pas être contente, elle va croire que cest un squat.» </p>
<p>Ces choses-là, il les a dites en assemblée aussi.</p>
<p>Il est quatre heures et demie. Un peu à la bourre et un peu en speed comme dhab, on essaye de faire un cercle avec tous les objets qui peuvent servir de chaise. À lintérieur il ny a pas assez de place, les tours multiprise trônent au milieu de la pièce et malheur à qui essaierait de les déplacer. Mais il faut encore un peu de temps avant de commencer: il reste une clope à taxer, un café à faire couler, une conversation à terminer. Après avoir trouvé tous les traducteurs quil nous faut, commence le tour rituel des noms et des pronoms. Ces moments permettent à la communauté dUpupa daborder toute sorte de thématiques, de soulever les problèmes qui ne sont évidents que pour les personnes qui habitent ce lieu et le font vivre. </p>
<p>Des propositions il y en a toujours à foison, mais la plupart sont englouties par le vortex des changements de personnes et par la facilité avec laquelle les objets ont tendance à disparaître. </p>
<p>Mais il y a une chose qui sinstalle de plus en plus. Cest la pratique de lautogestion. Même si des fois on a un peu du mal à reconnaître quelle séloigne beaucoup de la définition politique que nous donnerions de ce terme.</p>
<p>Concrètement, on observe lautogestion quand une étagère est cassée et que trois jours après, avec un marteau, deux clous et sept personnes, un chantier collectif est inauguré. On la voit à lœuvre quand, avant la fermeture, les balais volés au Lidl sactivent de manière autonome. Quand, à la rupture du jeûne, avant même que la distribution de nourriture soit commencée, il y a déjà quelque chose à manger, à partager. On laperçoit autour de lécran dun téléphone que dix personnes utilisent en même temps, pour regarder le match de la ligue des champions. </p>
<p>Mais lautogestion consiste aussi à troubler les dynamiques de quartier. Quand les voisin·es cherchent le responsable du lieu pour se plaindre, iels sont déstabilisées par le fait de ne pas trouver un.e interlocuteur·ice blanche, et encore plus gênées quand cest Mustafa qui leur répond en italien, en montrant sa carte avec écrit « bénévole dUpupa ». Et on voit bien la perplexité et la déception dans les yeux des flics, à chaque fois quils sont en service devant Upupa, cest-à-dire tous les jours de lannée (ACAB!). On voit bien que pour eux il est à peine concevable quun lieu de ce type nait pas de chef, ou que les « chefs » ne soient pas blancs.</p>
<p>Il est six heures vingt. La voiture de la Finanza<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup> arrive, suivie par celle déglinguée de Ahmed Hossen. Quand il ouvre la portière, la première chose quon remarque cest le blouson de travail quil porte tous les jours. Il vient à Upupa entre autre pour recharger son téléphone et pour faire des appels vidéo avec sa fille, entre un tour de magie et une blague bien placée.</p>
<p>«Moi je viens à Upupa pour défouler mon cœur, avec mes amis et avec tout le monde. Ce lieu arrange bien lEtat italien, mais lEtat italien narrange pas du tout ce lieu. Les pauvres gens sont tous entassés à un seul endroit, ils vont pas à la mer, en ville déranger les habitants, parce quils savent quici à deux heures et demie cest ouvert, jusquà huit heures, alors ils viennent tous ici. Sil y a pas ce lieu, toutes les personnes seront dans la ville. </p>
<p>Qui dépanne qui ? La mairie de Ventimiglia ne peut être que contente de ce lieu. </p>
<p>Je suis là depuis deux mois. Si quelquun me demande, moi je laide. Mais si on me demande pas, je laisse faire et les gens font ce quils veulent. Il manque un peu de rangement. Les gens débarquent ici sans savoir comment il marche ce pays, donc ils ont besoin dapprendre la langue et de comprendre ce qui se passe.»</p>
<p>Pendant que Ahmed parle, une connaissance à lui entre par hasard dans le local. Ça fait 35 ans quil habite à Ventimiglia et cestaujourdhui, pour la première fois, quil sest décidé à passer la porte, parce quil a vu beaucoup de monde à lintérieur. Avec un regard émerveillé et plein de curiosité, il dit rapidement bonjour à tout le monde, avant de repartir chez lui avec ses sacs de courses.</p>
<p>Une autre personne qui vient juste dentrer cherche du sucre pour se faire un café. Depuis que Mustafa est là, le sucre on le range dans le coffre, comme le plus précieux des biens. Il y en a toujours trop et il finit toujours trop vite. Le lieu semble lengloutir. Le mot sukar affleure constamment dans le chaos des conversations. Le sucre quil faut aller acheter au Lidl, le sucre quil faut mettre de côté, le sucre à partager, le sucre qui colle aux tasses, le sucre indispensable à la préparation lente et méticuleuse du café. Sucre, café en poudre, une goutte deau. Il faut un peu de temps. Le rythme ici nest pas scandé par la machine à café, mais par le tintement net et constant des petites cuillers qui remuent ces trois ingrédients. Il ne faut pas être pressé.e, ça peut prendre quelques minutes.</p>
<p><img alt="" src="../images/02/upupa/mur.jpeg"></p>
<p>Pendant que des conversations babéliques bouillonnent, au-de-là du sifflement de la bouilloire qui passe dune main à lautre, entre le bruit de leau qui coule et le raclement du pot de sucre encroûté, on entend chuinter la porte du coffre qui souvre et se referme pour la millième fois.
Après il faut laver les tasses, les chercher, les perdre. Les retrouver dans les endroits les plus improbables. Sous les tables, sur les étagères des livres, dans les toilettes. Dans les pots de fleurs, sur le muret en face mais dix mètres plus loin. Dans le parking ou de lautre côté de la route. Et il ny a pas que les tasses, mais aussi les verres, les bols, les pots de confitures, les boîtes à café, récipients de toutes les formes et mesures. Dans le croisement chaotique de personnes, paroles et objets qui constitue ce lieu, la préparation du café se charge dune signification rituelle particulière.
Tous ces gestes appartiennent à la communauté dUpupa, déterminent le tempo du lieu, en définissent le quotidien.</p>
<p>On est presque à la fin de la journée. Sur la table sont éparpillés les dessins faits pendant laprès-midi, avec des crayons émoussés et des feutres en fin de vie. La plupart représente des drapeaux qui dénoncent notre ignorance géographique euro-centrée. Ces derniers mois, le drapeau palestinien est de plus en plus présent. Il y en a tellement que le mur en est rempli, jusquau plafond. Des fois, il y en a qui se décollent et tombent par terre, des nouveaux viennent les remplacer tous les jours.</p>
<p>Sept heures quarante-cinq. M vient de garer Sorpassina<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup>, son scooter qui lamène toutes les semaines de Savona a Ventimiglia<sup id="fnref:3"><a class="footnote-ref" href="#fn:3">3</a></sup>. Légèrement sonné par la route, les cheveux moitié aplatis et moitié ébouriffés par le casque, il marche vers Upupa. Comme quand on appuie sur la touche Play dun lecteur CD, la musique des salutations commence. Il y a des mains à serrer, des gens à serrer entièrement aussi, au milieu des voix piaillieuses et amicales. À côté de la porte, à lentrée, il retrouve comme à chaque fois les caisses des dons, où il ne manque jamais des pulls et des chaussures qui ne vont à personne. Les choses qui partent presque aussi vite que le sucre, ici, ce sont les couvertures et les sacs de couchage, parce quil faut passer la nuit dehors au froid.
M se souvient dun podcast quil a écouté il y a quelques jours. En Palestine, à la Porte de Rafah, la plupart des dons envoyés par les groupes solidaires sont arrêtés à la frontière et séquestrés. Parmi les marchandises interdites, on trouve des objets qui sont totalement inoffensifs. Des jouets, des glaces au chocolat, réquisitionnées parce que considérée comme des biens de luxe. Des dattes, qui sont systématiquement inspectées aux rayons X. Des sacs de couchage aussi, parce que sils sont de couleurs mimétiques, on les assimile à du matériel militaire. La quantité de dons qui finit par passer
la frontière nest pas suffisante à combler les besoins de la population piégée à Gaza. Ici à Ventimiglia, la situation nest pas aussi violente quà Rafah. Mais, sil ny a pas assez de sacs de couchage, cest aussi par choix politique, comme cest par choix politique quil est interdit de remplir des bouteilles et des jerrycans deau à la fontaine devant le cimetière, à côté du campement. Cest le maire Di Muro qui la décidé, parce quil dit que notre présence nuit à la « décence du quartier ».</p>
<p>Huit heures trente-deux. On est déjà un peu en retard pour la fermeture. Normalement le rideau tombe à 20 heures sous les regards des voisin.es et de la flicaille. Pendant quil essaye de nettoyer les taches de café à la serpillière, Ayoub Abdou explique quil connaît bien la ville, mieux que nimporte qui : « Je suis ici depuis 2018, jai été aussi au campement de la Croix Rouge. Là-bas la police vérifiait les papiers de tout le monde pour entrer et sortir. Maintenant je veux aider ici, et dire aux gens de pas faire du bordel parce que lendroit appartient à tout le monde, il est pas à moi, à toi ou à lui.»</p>
<p>Six ans après, les flics sont toujours là évidemment, mais au moins ils ne rentrent pas. Parce que cette fois cest nous qui avons les clés.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest un corps de la police italienne, pas moins chiant quun autre. Toutes les notes
sont à nous (Ravages).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Pas évident de traduire ça. Sorpasso en Italien signifie dépassement, comme on dépasse quelquun.e en voiture. Alors Sorpassina ça serait comme un dépassement mais au féminin, et tout petit. Ça donne limage dune petite bête au bruit dinsecte (oui, précisément) qui double frénétiquement tout ce quelle croise. Et je mettrais ma main à couper quil se pronomme au masculin : Il Sorpassina.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:3">
<p>114,2 km selon Google Maps.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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<h2>Sommaire</h2>
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58
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<title>ravages - Articles by ravages</title> <title>ravages - Articles by ravages</title>
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<h1>Edito</h1> <h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p> <h3>L'inexorable montée du fascisme des années '20 (du XXIe siècle)</h3>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p> <blockquote>
<p>Pour le moment cest tout !</p> <p>« Quand il s'approchait de la frontière et qu'il a vu les tricornes de la Guardia Civil, mon père a découvert, parce que la réalité se construit avec des symboles, qu'il n'avait pas trouvé la liberté, loin de là, mais que pendant quelques semaines il s'était échappé de l'immense prison qu'était l'Espagne franquiste ».</p>
<p>Bonne lecture,</p> </blockquote>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p> <p>Cette citation, tiré d'un chouette bouquin* de Paco Ignacio Taibo II, parle de l'année 1957, pendant laquelle le père de l'auteur avait suivi le Tour de France en tant que journaliste. Il s'apprêtait, au moment évoqué ici, à rentrer dans son pays, où la dictature sévissait depuis presque vingt ans.
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p> En lisant cette phrases, nous avons eu un drôle de frisson, et l'impression que, depuis quelques temps, il nous arrive quelque chose de comparable, à nous, les habitant.es du Briançonnais, quand on revient à nos belles montagnes tout près de la frontière, après un petit tour ailleurs.</p>
<div class="footnote"> <p>C'était rien qu'un picotement au début. La sensation s'éveillait à partir de détails presque anodins, par exemple quand, en feuilletant le programme de cinéma d'une autre ville, on découvrait des films qui parlaient de la frontière et qui n'allaient pas être projetés dans les salles de chez nous, sans aucune explication ni officieuse ni officielle (voir les Brèves). Ou encore quand, après avoir été en visite chez des ami.es en d'autres villes de France, on s'est rendu compte qu'on commençait à oublier à quel point c'est agréable de passer la porte d'un café associatif, parce qu'à Briançon il n'y en a plus depuis longtemps, depuis entre autres que la mairie a pris pour habitude de préempter les locaux en vente, dès qu'elle soupçonne les gauchistes du coin de vouloir en faire un fief de fauteurs de trouble.</p>
<hr> <p>La chose s'est faite un peu moins frivole quand on a réalisé que, dans notre grande et lumineuse médiathèque, les bibliothécaires ne se sentent pas tout à fait libres de commander et de proposer les ouvrages qu'iels souhaitent, par crainte des représailles d'un minable de maire qui se prend pour le shérif de Nottingham (ou pour un hiérarque fasciste). Mais la gorge a commencé à sèchement se serrer quand on a appris que, dans le lycée de Briançon, le proviseur avait été sommé par la sous-préfecture d'annuler une rencontre autour du thème de l'immigration, qui pourtant avait été demandée par les élèves (voir les Brèves). Et on a vraiment du mal à respirer, ces derniers temps, à la vue de toutes ces voitures de la police nationale qui rôdent dans la ville, parce qu'on commence à avoir vraiment trop d'ami.es qui se sont faites arrêter, insulter, maltraiter, parfois diriger vers un CRA, sans autres raisons que la couleur de leur peau, ou le fait d'avoir réagi à la violence insensée d'une interpellation (voir les Brèves).
<ol> Nous constatons, dans notre petite ville de frontière, que la situation empire sans cesse depuis l'élection en 2020 d'un maire de droite dont le plus grand rêve est d'être invité chez Cyril Hanouna (pardonnez-nous la vulgarité de ces propos). Mais tout s'accélère dans le mauvais sens depuis l'extrémisation droitière du deuxième mandat macronien. Et cette descente aux enfers risque de s'étendre à tout le pays, avec la montée en puissance des partis fascistes aux élections européennes et aux législatives anticipées de 2024. Sans oublier une Union Européenne qui repousse les limites du droit, pour consolider des frontières meurtrières et des pratiques juridiques excluantes.</p>
<li id="fn:1"> <p>C'est un peu de cela que nous parlons, dans les pages qui suivent. Une chute drôle serait bien la bienvenue là, une lueur même évanescente d'optimisme. Mais non.</p>
<p>Cest pour rire...&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p> <p><em>Merci aux contributeur·rices de ce 2ème numéro : Mody Bic, Vrrhngt, Plume, Biche, Ptitpois, FleurBleue, Le race salta fosso, sussurrimi, gravier, Legrosmulot, Dayion.</em></p>
</li> <p><img alt="" src="../images/02/Couv.jpg"></p>
</ol>
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<li><a href="/breves.html">L'année 2023 vue d'ici</a></li> <!-- Figure out current issue number -->
<li><a href="/cartographie.html">Cartographie</a></li> <li><a href="/edito_02.html">Edito</a></li>
<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li> <li><a href="/breves02.html">L'année 2024 vue d'ici</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li> <li><a href="/lexique-appel-dair.html">Lexique : appel d'air</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li> <li><a href="/est-ce-que-tu-maimes-vraiment.html">Est-ce que tu m'aimes vraiment</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li> <li><a href="/le-pado-carnet-de-bord.html">Le Pado : carnet de bord</a></li>
<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-laccueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'accueil inconditionnel conditionné</a></li> <li><a href="/calais-ca-existe-le-deuil-solidaire.html">Calais : ça existe le deuil solidaire ?</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li> <li><a href="/un-jour-comme-un-autre-a-upupa-ventimiglia.html">Un jour comme un autre à Upupa, Ventimiglia</a></li>
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<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p> <blockquote>
<p>Pour le moment cest tout !</p> <p>« Quand il s'approchait de la frontière et qu'il a vu les tricornes de la Guardia Civil, mon père a découvert, parce que la réalité se construit avec des symboles, qu'il n'avait pas trouvé la liberté, loin de là, mais que pendant quelques semaines il s'était échappé de l'immense prison qu'était l'Espagne franquiste ».</p>
<p>Bonne lecture,</p> </blockquote>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p> <p>Cette citation, tiré d'un chouette bouquin* de Paco Ignacio Taibo II, parle de l'année 1957, pendant laquelle le père de l'auteur avait suivi le Tour de France en tant que journaliste. Il s'apprêtait, au moment évoqué ici, à rentrer dans son pays, où la dictature sévissait depuis presque vingt ans.
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p> En lisant cette phrases, nous avons eu un drôle de frisson, et l'impression que, depuis quelques temps, il nous arrive quelque chose de comparable, à nous, les habitant.es du Briançonnais, quand on revient à nos belles montagnes tout près de la frontière, après un petit tour ailleurs.</p>
<div class="footnote"> <p>C'était rien qu'un picotement au début. La sensation s'éveillait à partir de détails presque anodins, par exemple quand, en feuilletant le programme de cinéma d'une autre ville, on découvrait des films qui parlaient de la frontière et qui n'allaient pas être projetés dans les salles de chez nous, sans aucune explication ni officieuse ni officielle (voir les Brèves). Ou encore quand, après avoir été en visite chez des ami.es en d'autres villes de France, on s'est rendu compte qu'on commençait à oublier à quel point c'est agréable de passer la porte d'un café associatif, parce qu'à Briançon il n'y en a plus depuis longtemps, depuis entre autres que la mairie a pris pour habitude de préempter les locaux en vente, dès qu'elle soupçonne les gauchistes du coin de vouloir en faire un fief de fauteurs de trouble.</p>
<hr> <p>La chose s'est faite un peu moins frivole quand on a réalisé que, dans notre grande et lumineuse médiathèque, les bibliothécaires ne se sentent pas tout à fait libres de commander et de proposer les ouvrages qu'iels souhaitent, par crainte des représailles d'un minable de maire qui se prend pour le shérif de Nottingham (ou pour un hiérarque fasciste). Mais la gorge a commencé à sèchement se serrer quand on a appris que, dans le lycée de Briançon, le proviseur avait été sommé par la sous-préfecture d'annuler une rencontre autour du thème de l'immigration, qui pourtant avait été demandée par les élèves (voir les Brèves). Et on a vraiment du mal à respirer, ces derniers temps, à la vue de toutes ces voitures de la police nationale qui rôdent dans la ville, parce qu'on commence à avoir vraiment trop d'ami.es qui se sont faites arrêter, insulter, maltraiter, parfois diriger vers un CRA, sans autres raisons que la couleur de leur peau, ou le fait d'avoir réagi à la violence insensée d'une interpellation (voir les Brèves).
<ol> Nous constatons, dans notre petite ville de frontière, que la situation empire sans cesse depuis l'élection en 2020 d'un maire de droite dont le plus grand rêve est d'être invité chez Cyril Hanouna (pardonnez-nous la vulgarité de ces propos). Mais tout s'accélère dans le mauvais sens depuis l'extrémisation droitière du deuxième mandat macronien. Et cette descente aux enfers risque de s'étendre à tout le pays, avec la montée en puissance des partis fascistes aux élections européennes et aux législatives anticipées de 2024. Sans oublier une Union Européenne qui repousse les limites du droit, pour consolider des frontières meurtrières et des pratiques juridiques excluantes.</p>
<li id="fn:1"> <p>C'est un peu de cela que nous parlons, dans les pages qui suivent. Une chute drôle serait bien la bienvenue là, une lueur même évanescente d'optimisme. Mais non.</p>
<p>Cest pour rire...&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p> <p><em>Merci aux contributeur·rices de ce 2ème numéro : Mody Bic, Vrrhngt, Plume, Biche, Ptitpois, FleurBleue, Le race salta fosso, sussurrimi, gravier, Legrosmulot, Dayion.</em></p>
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<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li> <li><a href="/est-ce-que-tu-maimes-vraiment.html">Est-ce que tu m'aimes vraiment</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li> <li><a href="/le-pado-carnet-de-bord.html">Le Pado : carnet de bord</a></li>
<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-laccueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'accueil inconditionnel conditionné</a></li> <li><a href="/calais-ca-existe-le-deuil-solidaire.html">Calais : ça existe le deuil solidaire ?</a></li>
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<h2 id='site-subtitle'><div class="subtitle-box""">chroniques de luttes à la frontière franco-italienne</div></h2>
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<h1>Edito</h1>
<h3>L'inexorable montée du fascisme des années '20 (du XXIe siècle)</h3>
<blockquote>
<p>« Quand il s'approchait de la frontière et qu'il a vu les tricornes de la Guardia Civil, mon père a découvert, parce que la réalité se construit avec des symboles, qu'il n'avait pas trouvé la liberté, loin de là, mais que pendant quelques semaines il s'était échappé de l'immense prison qu'était l'Espagne franquiste ».</p>
</blockquote>
<p>Cette citation, tiré d'un chouette bouquin* de Paco Ignacio Taibo II, parle de l'année 1957, pendant laquelle le père de l'auteur avait suivi le Tour de France en tant que journaliste. Il s'apprêtait, au moment évoqué ici, à rentrer dans son pays, où la dictature sévissait depuis presque vingt ans.
En lisant cette phrases, nous avons eu un drôle de frisson, et l'impression que, depuis quelques temps, il nous arrive quelque chose de comparable, à nous, les habitant.es du Briançonnais, quand on revient à nos belles montagnes tout près de la frontière, après un petit tour ailleurs.</p>
<p>C'était rien qu'un picotement au début. La sensation s'éveillait à partir de détails presque anodins, par exemple quand, en feuilletant le programme de cinéma d'une autre ville, on découvrait des films qui parlaient de la frontière et qui n'allaient pas être projetés dans les salles de chez nous, sans aucune explication ni officieuse ni officielle (voir les Brèves). Ou encore quand, après avoir été en visite chez des ami.es en d'autres villes de France, on s'est rendu compte qu'on commençait à oublier à quel point c'est agréable de passer la porte d'un café associatif, parce qu'à Briançon il n'y en a plus depuis longtemps, depuis entre autres que la mairie a pris pour habitude de préempter les locaux en vente, dès qu'elle soupçonne les gauchistes du coin de vouloir en faire un fief de fauteurs de trouble.</p>
<p>La chose s'est faite un peu moins frivole quand on a réalisé que, dans notre grande et lumineuse médiathèque, les bibliothécaires ne se sentent pas tout à fait libres de commander et de proposer les ouvrages qu'iels souhaitent, par crainte des représailles d'un minable de maire qui se prend pour le shérif de Nottingham (ou pour un hiérarque fasciste). Mais la gorge a commencé à sèchement se serrer quand on a appris que, dans le lycée de Briançon, le proviseur avait été sommé par la sous-préfecture d'annuler une rencontre autour du thème de l'immigration, qui pourtant avait été demandée par les élèves (voir les Brèves). Et on a vraiment du mal à respirer, ces derniers temps, à la vue de toutes ces voitures de la police nationale qui rôdent dans la ville, parce qu'on commence à avoir vraiment trop d'ami.es qui se sont faites arrêter, insulter, maltraiter, parfois diriger vers un CRA, sans autres raisons que la couleur de leur peau, ou le fait d'avoir réagi à la violence insensée d'une interpellation (voir les Brèves).
Nous constatons, dans notre petite ville de frontière, que la situation empire sans cesse depuis l'élection en 2020 d'un maire de droite dont le plus grand rêve est d'être invité chez Cyril Hanouna (pardonnez-nous la vulgarité de ces propos). Mais tout s'accélère dans le mauvais sens depuis l'extrémisation droitière du deuxième mandat macronien. Et cette descente aux enfers risque de s'étendre à tout le pays, avec la montée en puissance des partis fascistes aux élections européennes et aux législatives anticipées de 2024. Sans oublier une Union Européenne qui repousse les limites du droit, pour consolider des frontières meurtrières et des pratiques juridiques excluantes.</p>
<p>C'est un peu de cela que nous parlons, dans les pages qui suivent. Une chute drôle serait bien la bienvenue là, une lueur même évanescente d'optimisme. Mais non.</p>
<p><em>Merci aux contributeur·rices de ce 2ème numéro : Mody Bic, Vrrhngt, Plume, Biche, Ptitpois, FleurBleue, Le race salta fosso, sussurrimi, gravier, Legrosmulot, Dayion.</em></p>
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<h3>L'inexorable montée du fascisme des années '20 (du XXIe siècle)</h3>
<blockquote>
<p>« Quand il s'approchait de la frontière et qu'il a vu les tricornes de la Guardia Civil, mon père a découvert, parce que la réalité se construit avec des symboles, qu'il n'avait pas trouvé la liberté, loin de là, mais que pendant quelques semaines il s'était échappé de l'immense prison qu'était l'Espagne franquiste ».</p>
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<p>Cette citation, tiré d'un chouette bouquin* de Paco Ignacio Taibo II, parle de l'année 1957, pendant laquelle le père de l'auteur avait suivi le Tour de France en tant que journaliste. Il s'apprêtait, au moment évoqué ici, à rentrer dans son pays, où la dictature sévissait depuis presque vingt ans.
En lisant cette phrases, nous avons eu un drôle de frisson, et l'impression que, depuis quelques temps, il nous arrive quelque chose de comparable, à nous, les habitant.es du Briançonnais, quand on revient à nos belles montagnes tout près de la frontière, après un petit tour ailleurs.</p>
<p>C'était rien qu'un picotement au début. La sensation s'éveillait à partir de détails presque anodins, par exemple quand, en feuilletant le programme de cinéma d'une autre ville, on découvrait des films qui parlaient de la frontière et qui n'allaient pas être projetés dans les salles de chez nous, sans aucune explication ni officieuse ni officielle (voir les Brèves). Ou encore quand, après avoir été en visite chez des ami.es en d'autres villes de France, on s'est rendu compte qu'on commençait à oublier à quel point c'est agréable de passer la porte d'un café associatif, parce qu'à Briançon il n'y en a plus depuis longtemps, depuis entre autres que la mairie a pris pour habitude de préempter les locaux en vente, dès qu'elle soupçonne les gauchistes du coin de vouloir en faire un fief de fauteurs de trouble.</p>
<p>La chose s'est faite un peu moins frivole quand on a réalisé que, dans notre grande et lumineuse médiathèque, les bibliothécaires ne se sentent pas tout à fait libres de commander et de proposer les ouvrages qu'iels souhaitent, par crainte des représailles d'un minable de maire qui se prend pour le shérif de Nottingham (ou pour un hiérarque fasciste). Mais la gorge a commencé à sèchement se serrer quand on a appris que, dans le lycée de Briançon, le proviseur avait été sommé par la sous-préfecture d'annuler une rencontre autour du thème de l'immigration, qui pourtant avait été demandée par les élèves (voir les Brèves). Et on a vraiment du mal à respirer, ces derniers temps, à la vue de toutes ces voitures de la police nationale qui rôdent dans la ville, parce qu'on commence à avoir vraiment trop d'ami.es qui se sont faites arrêter, insulter, maltraiter, parfois diriger vers un CRA, sans autres raisons que la couleur de leur peau, ou le fait d'avoir réagi à la violence insensée d'une interpellation (voir les Brèves).
Nous constatons, dans notre petite ville de frontière, que la situation empire sans cesse depuis l'élection en 2020 d'un maire de droite dont le plus grand rêve est d'être invité chez Cyril Hanouna (pardonnez-nous la vulgarité de ces propos). Mais tout s'accélère dans le mauvais sens depuis l'extrémisation droitière du deuxième mandat macronien. Et cette descente aux enfers risque de s'étendre à tout le pays, avec la montée en puissance des partis fascistes aux élections européennes et aux législatives anticipées de 2024. Sans oublier une Union Européenne qui repousse les limites du droit, pour consolider des frontières meurtrières et des pratiques juridiques excluantes.</p>
<p>C'est un peu de cela que nous parlons, dans les pages qui suivent. Une chute drôle serait bien la bienvenue là, une lueur même évanescente d'optimisme. Mais non.</p>
<p><em>Merci aux contributeur·rices de ce 2ème numéro : Mody Bic, Vrrhngt, Plume, Biche, Ptitpois, FleurBleue, Le race salta fosso, sussurrimi, gravier, Legrosmulot, Dayion.</em></p>
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