adding breves

This commit is contained in:
muu 2025-04-22 19:05:48 +02:00
parent ca77bc4b4b
commit 2a758c62b8
2 changed files with 147 additions and 1 deletions

View File

@ -6,3 +6,85 @@ Slug: breves02
Special_CSS: breves_02 Special_CSS: breves_02
Numero: 2 Numero: 2
_La frontière se relâche ici (temporairement au moins) pour mieux serrer ses mailles ailleurs, plus loin de chez nous et plus en profondeur dans nos systèmes juridiques._
_On est un peu désolé.e de présenter des brèves si noires si plombantes pour notre deuxième numéro. Dans le premier, on avait réussi à y mettre un peu de brio, selon le principe bien connu (nous venons tout juste de linventer) de la «sarbacane à plume», qui pique et chatouille en même temps. Mais cette fois cest pas possible, cest vraiment trop. Avec deux personnes mortes en traversant la frontière au mois doctobre (après la mort de Moussa le 7 août), deux expulsions de squats en un mois, une loi-immigration que Marine Le Pen décrit comme «une victoire idéologique», et sans oublier le nouveau pacte migratoire européen à gerber, cest plus possible dêtre drôles, on peut pas. La sarbacane est pleine de plomb et de venin._
### 30 novembre
Le Refuge Solidaire décide de restreindre lapprovisionnement en eau au Pado. Réaction immédiate dun groupe de bénévoles qui, au cri de «Pas deau pas de bénévoles!» menace de faire la grève. «Nous sommes indigné.x» - iels écrivent - «par cette décision. En effet, la consommation deau actuelle du Pado de 4,5 tonnes par mois est dérisoire (entre 3 et 4 litres par personne par jour). Or selon lOMS, « un minimum de 20 litres deau par jour et par personne est préconisé pour répondre aux besoins fondamentaux dhydratation et dhygiène personnelle.» Cette restriction allait avoir de lourdes conséquences, puisque pendant lhiver les fontaines publiques du briançonnais sont fermées et le Pado navait aucun autre lieu où sapprovisionner. Mais il suffit de cette simple annonce, pour que la mesure ne soit pas appliquée. Une ola choupinesque et bigarrée pour ces braves bénévoles du Refuge Solidaire !
### 13 décembre
Expulsion du Pado[^1], avec 36 heures de préavis et pas une minute de plus, en pleine trêve hivernale, en application dun arrêté préfectoral qui mentionne des raisons de « péril imminent et insalubrité », où le péril imminent reste un mystère, tandis que linsalubrité serait en grande partie la conséquence de labsence deau courante dans le bâtiment eau courante que la mairie a coupé au tout début de loccupation et na jamais voulu réinstaller, malgré linsistance de plusieurs associations. Et ça se passe le 13/12 ! Sagirait-t-il dun rarissime exemple dironie policière ?
### 19 décembre
La nouvelle loi immigration est finalement adoptée, après un forcing législatif digne dun Caligula start-uppeur, dans une forme que Marine Le Pen définit comme une « victoire idéologique ». Elle comprend tout un paquet de mesures ultra-techniques pour entraver au maximum le droit dasile (cest un peu compliqué dentrer dans le détail ici); plus une augmentation des niveaux de langue française exigés à chaque étape du parcours dintégration administrative (titre de séjour annuel ou pluriannuel, carte de résident.e, demande de naturalisation); plus une réduction drastique des protections face aux mesures déloignement (OQTF/IRTF). Le délit de séjour irrégulier est rétabli (mais il sera censuré plus tard par la Conseil Constitutionnel) et laccès aux prestations sociales est conditionné à trois ans de présence sur le territoire pour les personnes qui travaillent, cinq ans pour celles qui ne travaillent pas (mais ces mesures aussi ne passeront pas le crible de ces islamo-gauchistes du Conseil Constitutionnel). Les travailleur.euses irrégulières, par contre, sont toujours traitées comme de la merde, malgré le cancan de faux espoirs créés autour des «métiers en tension».
### 27 décembre
Ouverture dun nouveau squat à Briançon. La lutte continue.
### 3 janvier
**Moi, capitaine** de Matteo Garrone sort sur les écrans de France. Le film raconte le voyage de deux jeunes Sénégalais à travers le Sahara, la Libye et la Méditerranée, direction lEurope où ils rêvent dun succès dans la musique. Cest dur de trouver les bons mots pour une courte brève, cest également dur de conseiller de le voir sans y mettre tous les warnings possibles : cest un film avec des scènes dures à regarder. Malgré une nomination aux Oscars, le long-métrage nest pas programmé dans les salles de Briançon. On nest pas complotistes, mais avouez que cest bizarre quand même.
### 12 janvier, 2 février, 22 mars
Les Croquignards, tiers-lieu dans le briançonnais, invitent pour leur Université dhiver le soi-disant collectif Pièces & Main dœuvre (on a limpression quil sagit en réalité dun couple hétéro où, comme par hasard, cest le gars qui parle), qui développe dans ses écrits des propos violemment transphobes et misogynes, qui vont de la caricature de la théorie du genre à lapologie de la culture du viol, jusquà linsulte explicite et répétée aux personnes intersexes, queer et trans. Pour leur première conférence, trois activistes LGBTQIA+ se présentent à la soirée avec une banderole et se font violemment repousser par les pires mascus de notre milieu. Pour la deuxième on est une dizaine, confronté·es au même accueil. Faute dinspirations gaguesques (style mettre de la mousse à raser sur toutes les poignées de porte, ou lâcher un prout chaque fois que le mot «transhumanisme» est prononcé), nous renonçons au zbeul de la dernière conférence.
### 2 février
Un incendie se déclare dans le nouveau squat. Le bâtiment est évacué, il est désormais inhabitable.
### 2 février bis
Après huit ans de batailles juridiques menées par plusieurs associations, le Conseil dÉtat finit par déclarer comme illégaux les refus dentrée sur les frontières internes de lespace Schengen, en rappelant aux forces de police lobligation de respecter le droit dasile. Jolie pagaille à Montgènevre, où la PAF, à partir daujourdhui, laisse passer la plupart des personnes qui déclarent vouloir demander lasile en France, tout en en renvoyant quelques unes en Italie, sans quon comprenne trop le pourquoi du comment. Pendant ce temps, à Vintimille, cest la loterie: des pluies dOQTF sabattent sur les personnes quon autorise pourtant à rentrer sur le territoire, et les « réadmissions » se multiplient (cest des refoulements, mais sous une autre forme juridique que les refus dentrée). La frontière nest pas tombée: elle se transforme, nous ne savons pas encore en quoi exactement. En attendant, les personnes y sont toujours enfermées et leurs droits bien malmenés.
### 6 février
Cest la journée mondiale de Commémoraction des mort·es aux frontières. Une ou deux heures avant laube, une trentaine de personnes se retrouvent devant la porte de la Durance, dans la vieille ville, avec des pierres, du ciment et douze plaques dardoise. Elles vont construire un cairn, un de ces tas de pierres quon construit en haute montagne, pour indiquer les chemins aux voyageur·euses. Sur les douze ardoises, les douze noms des douze personnes mortes en essayant de
traverser cette frontière. Il sagit dun monument non autorisé. Deux heures après sa fabrication, il sera recouvert de fleurs.
### 6 février bis
... ce même jour dhommage aux victimes des frontières, Arnaud Murgia et son copain Renaud Muselier, Président de la Région PACA, ont décidé daller apporter leur soutien à la PAF et aux gendarmes à la frontière. On ne peut pas faire plus clair.
### Mi-février
Quelquun·e parmi nous a vu Green border dAgnieszka Holland et a compris immédiatement pourquoi tous les films sortis jusque-là sur la frontière briançonnaise[^2] lui ont semblé être des daubes bien fadasses : le film, qui décrit la situation à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie en 2022, donne une place prépondérante à la souffrance des personnes qui traversent la frontière, plutôt quaux paroxysmes dindignation dun kiné briançonnais qui découvre à 38 ans lexistence dune frontière, ou aux envies dhéroïsme dun veuf vieillissant qui pareil comme le kiné, ou aux syllogismes affreusement simplistes dune meuf en galère de thune qui tout pareil comme les deux bolosses précédents. Mais, comme par hasard, ce film non plus ne sera pas programmé dans les deux cinémas briançonnais. Le complot sépaissit.
### 20 février
La mairie de Briançon déclare officiellement que le mémorial aux mort.es des frontières (le cairn dil y a deux brèves) ne peut pas rester où il est. Cest le début dune bataille de communication et dune mobilisation citoyenne pour le protéger. Le monde entier frémit dangoisse: osera-t-il, le maire Murgia, chevaucher la pelleteuse qui rasera ce petit monument haut dun mètre 20 tout habillé?
### 1er mars
Depuis plusieurs semaines les maraudeur·euses constatent que les balisages sont effacés sur les chemins qui relient la frontière à Briançon : écorces darbres arrachées, peinture noire ou tas de pierres recouvrant les balisages, flèches retournées dans les mauvaises directions. Cest peut-être en vue des JO que nos concitoyen·nes sentraînent à battre tous les records de conneries.
### 26 mars
Vers 7 heures du matin, profitant de lheure infâme (on nest pas du matin) et de la météo sibérienne, les agent·es des services techniques de la mairie de Briançon rasent le cairn et enfouissent ses éléments démembrés dans les profondeurs des geôles communales. Dans laprès-midi, six personnes représentantes de plusieurs associations et collectifs briançonnais se rendent à la mairie pour exiger des explications, mais leurs vestes Adidas et leurs bouilles de mal réveillées sèment la panique parmi les employé·es municipales. Deux voitures de la police débarquent en trombe pour sécuriser le bâtiment, en cas dattaque du groupuscule mal fagoté - mais à la rhétorique acérée (ah ça!).
Vers 16h, comme par magie, douze cairns grands et petits repoussent là où le mémorial a été enlevé.
### 26-28 mars
A la demande de lycéen·nes de Briançon, des rencontres sur la situation à la frontière devaient avoir lieu à la Maison des Lycéens. Les intervenant·es, un avocat et des membres de Tous Migrants avaient préalablement été reçu· es par le proviseur. Rencontre cordiale. Dates fixées. Mais voilà que cest remonté aux oreilles des quelque parents pas contents, puis plus haut encore, aux oreilles de la préfecture. Le proviseur se voit contraint dannuler les rencontres.
### 29 mars
En prenant pour prétexte la candidature des Alpes françaises pour lorganisation des JO 2030, le conseil régional de la Région PACA vote une enveloppe dun million deuro par an jusquen 2030 pour participer à renforcer les équipements des forces de lordre dans les territoires al
pins. Les agents de la PAF et les gendarmes vont avoir leurs lots de nouveaux joujoux « adaptés au
terrain de montagne ». Annoncées pour 2025, les patrouilles en luge et les bonnets-pompon à gyrophare bleu.
### 30 mars
Cest lors de lassemblée générale annuelle du Refuge Solidaire que, ni vu ni connu, la mention de «linconditionnalité de laccueil» est retirée des statuts de lassociation. Certain·es dentre nous étaient dans la salle. On na même pas tiqué, comme si ça allait de soi. Sacré symbole quand même.
### 25 avril
La Défenseure des Droits Claire Hédon dénonce des violations « systématiques » des droits des personnes, en particulier des demandeur·euses dasile et des mineur·es isolé·es, à la frontière franco-italienne. Elle épingle aussi des privations de liberté « arbitraires » et « indignes ». Ce sont les résultats de deux ans denquête menée sur les comportements de la police aux frontières à Montgenèvre et Menton. Ça fait plaisir bien sûr. Après, si elle avait passé un coup de fil à Michel, il lui aurait expliqué tout ça en 15-20 minutes.
### 15 mai
Adopté par le Parlement européen, le nouveau « Pacte sur la migration et lasile », qui marque une ultérieure régression des droits fondamentaux des personnes migrantes et exilées. Parmi ses points forts, la généralisation de « lapproche hot-spot », expérimentée depuis 2015 en Grèce et en Italie et constamment dénoncée par les associations, aussi bien que lapplication de procédures administratives de plus en plus expéditives, qui auront pour conséquences le déni du droit dasile et la massification de la détention aux frontières extérieures. La stratégie est claire, et pas nouvelle: la frontière ne tombe pas, mais elle séloigne de nos appartements chauffés et climatisés.
### 19 mai
La fonte des neiges révèle un nouveau cadavre, retrouvé à 2300 mètres daltitude, dans la
Vallée Étroite, tout près de la frontière. Son identité na pas encore été établie, mais plusieurs indices laissent croire quil sagirait dune personne qui essayait de passer sans les fichus papiers. Elle serait donc la treizième victime de cette frontière depuis 2018. Les «tendres preuves du printemps» ont chez nous un sens bien macabre.
### 29 mai
Les rencontres annulées au lycée en mars, ont finalement lieu au détour dun pique-nique hors les murs. Une chaleureuse occasion pour les lycéen·nes de sinformer, de débattre et de refaire une beauté au mémorial qui na de cesse dêtre endommagé par des anonymes fâchés, ptet même facho. Nen déplaise aux parents indignés et à la préfecture, la jeunesse se rebelle !
### 18 juin
Une amie assiste à linterpellation dun passant, dans le centre-ville briançonnais, par la police nationale. Surprise par le ton très agressif des agent.es, lamie intervient : « Vous pourriez lui parler autrement ». « Toi la vielle dégage ! », lui répond un des agents, « Laisse nous faire notre travail ! ». Elle séloigne et prend la scène en photo, quand un autre agent savance vers elle et la saisie par lépaule. Il lui arrache des mains le téléphone, efface les photos et jette lappareil par terre. Pendant ce temps un autre agent demande à notre amie ses papiers, la menaçant dune main
courante. « Mais pourquoi ?? ». «Vous avez résisté quand je vous ai pris le téléphone ».
### 18 juin bis
A la fin de cette interpellation, le «passant» est placé en garde à vue et transféré vers le CRA de Marseille, doù il sera reconduit chez lui quelques jours plus tard, avec une assignation à résidence de 45 jours, renouvelable une fois. Nous comptabilisons depuis septembre six transfert en CRA pour des personnes sans papiers résidentes depuis longtemps à Briançon. Des six transferts, aucun na conduit à une expulsion jusquà présent, heureusement.
[^1]: Le Pado cest le squat qui a hébergé les gens qui passent la frontière pendant les deux mois de fermeture du Refuge, et qui a continué dhéberger celleux que le Refuge, une fois rouvert, mettait à la porte au bout des trois jours réglementaires de laccueil «inconditionnel» : voir Le Pado, Carnet de bord de Zahra M., dans les pages qui suivent.
[^2]: On parle de Les engagés dEmilie Frèche (2002), de Les survivants de Guillaume Renusson (2022) et de La tête froide de Stéphane Marchetti (2024).

View File

@ -40,7 +40,71 @@
</header> </header>
<div class="entry-content "> <div class="entry-content ">
<p><em>La frontière se relâche ici (temporairement au moins) pour mieux serrer ses mailles ailleurs, plus loin de chez nous et plus en profondeur dans nos systèmes juridiques.</em></p>
<p><em>On est un peu désolé.e de présenter des brèves si noires si plombantes pour notre deuxième numéro. Dans le premier, on avait réussi à y mettre un peu de brio, selon le principe bien connu (nous venons tout juste de linventer) de la «sarbacane à plume», qui pique et chatouille en même temps. Mais cette fois cest pas possible, cest vraiment trop. Avec deux personnes mortes en traversant la frontière au mois doctobre (après la mort de Moussa le 7 août), deux expulsions de squats en un mois, une loi-immigration que Marine Le Pen décrit comme «une victoire idéologique», et sans oublier le nouveau pacte migratoire européen à gerber, cest plus possible dêtre drôles, on peut pas. La sarbacane est pleine de plomb et de venin.</em></p>
<h3>30 novembre</h3>
<p>Le Refuge Solidaire décide de restreindre lapprovisionnement en eau au Pado. Réaction immédiate dun groupe de bénévoles qui, au cri de «Pas deau pas de bénévoles!» menace de faire la grève. «Nous sommes indigné.x» - iels écrivent - «par cette décision. En effet, la consommation deau actuelle du Pado de 4,5 tonnes par mois est dérisoire (entre 3 et 4 litres par personne par jour). Or selon lOMS, « un minimum de 20 litres deau par jour et par personne est préconisé pour répondre aux besoins fondamentaux dhydratation et dhygiène personnelle.» Cette restriction allait avoir de lourdes conséquences, puisque pendant lhiver les fontaines publiques du briançonnais sont fermées et le Pado navait aucun autre lieu où sapprovisionner. Mais il suffit de cette simple annonce, pour que la mesure ne soit pas appliquée. Une ola choupinesque et bigarrée pour ces braves bénévoles du Refuge Solidaire !</p>
<h3>13 décembre</h3>
<p>Expulsion du Pado<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>, avec 36 heures de préavis et pas une minute de plus, en pleine trêve hivernale, en application dun arrêté préfectoral qui mentionne des raisons de « péril imminent et insalubrité », où le péril imminent reste un mystère, tandis que linsalubrité serait en grande partie la conséquence de labsence deau courante dans le bâtiment eau courante que la mairie a coupé au tout début de loccupation et na jamais voulu réinstaller, malgré linsistance de plusieurs associations. Et ça se passe le 13/12 ! Sagirait-t-il dun rarissime exemple dironie policière ?</p>
<h3>19 décembre</h3>
<p>La nouvelle loi immigration est finalement adoptée, après un forcing législatif digne dun Caligula start-uppeur, dans une forme que Marine Le Pen définit comme une « victoire idéologique ». Elle comprend tout un paquet de mesures ultra-techniques pour entraver au maximum le droit dasile (cest un peu compliqué dentrer dans le détail ici); plus une augmentation des niveaux de langue française exigés à chaque étape du parcours dintégration administrative (titre de séjour annuel ou pluriannuel, carte de résident.e, demande de naturalisation); plus une réduction drastique des protections face aux mesures déloignement (OQTF/IRTF). Le délit de séjour irrégulier est rétabli (mais il sera censuré plus tard par la Conseil Constitutionnel) et laccès aux prestations sociales est conditionné à trois ans de présence sur le territoire pour les personnes qui travaillent, cinq ans pour celles qui ne travaillent pas (mais ces mesures aussi ne passeront pas le crible de ces islamo-gauchistes du Conseil Constitutionnel). Les travailleur.euses irrégulières, par contre, sont toujours traitées comme de la merde, malgré le cancan de faux espoirs créés autour des «métiers en tension».</p>
<h3>27 décembre</h3>
<p>Ouverture dun nouveau squat à Briançon. La lutte continue.</p>
<h3>3 janvier</h3>
<p><strong>Moi, capitaine</strong> de Matteo Garrone sort sur les écrans de France. Le film raconte le voyage de deux jeunes Sénégalais à travers le Sahara, la Libye et la Méditerranée, direction lEurope où ils rêvent dun succès dans la musique. Cest dur de trouver les bons mots pour une courte brève, cest également dur de conseiller de le voir sans y mettre tous les warnings possibles : cest un film avec des scènes dures à regarder. Malgré une nomination aux Oscars, le long-métrage nest pas programmé dans les salles de Briançon. On nest pas complotistes, mais avouez que cest bizarre quand même.</p>
<h3>12 janvier, 2 février, 22 mars</h3>
<p>Les Croquignards, tiers-lieu dans le briançonnais, invitent pour leur Université dhiver le soi-disant collectif Pièces &amp; Main dœuvre (on a limpression quil sagit en réalité dun couple hétéro où, comme par hasard, cest le gars qui parle), qui développe dans ses écrits des propos violemment transphobes et misogynes, qui vont de la caricature de la théorie du genre à lapologie de la culture du viol, jusquà linsulte explicite et répétée aux personnes intersexes, queer et trans. Pour leur première conférence, trois activistes LGBTQIA+ se présentent à la soirée avec une banderole et se font violemment repousser par les pires mascus de notre milieu. Pour la deuxième on est une dizaine, confronté·es au même accueil. Faute dinspirations gaguesques (style mettre de la mousse à raser sur toutes les poignées de porte, ou lâcher un prout chaque fois que le mot «transhumanisme» est prononcé), nous renonçons au zbeul de la dernière conférence.</p>
<h3>2 février</h3>
<p>Un incendie se déclare dans le nouveau squat. Le bâtiment est évacué, il est désormais inhabitable.</p>
<h3>2 février bis</h3>
<p>Après huit ans de batailles juridiques menées par plusieurs associations, le Conseil dÉtat finit par déclarer comme illégaux les refus dentrée sur les frontières internes de lespace Schengen, en rappelant aux forces de police lobligation de respecter le droit dasile. Jolie pagaille à Montgènevre, où la PAF, à partir daujourdhui, laisse passer la plupart des personnes qui déclarent vouloir demander lasile en France, tout en en renvoyant quelques unes en Italie, sans quon comprenne trop le pourquoi du comment. Pendant ce temps, à Vintimille, cest la loterie: des pluies dOQTF sabattent sur les personnes quon autorise pourtant à rentrer sur le territoire, et les « réadmissions » se multiplient (cest des refoulements, mais sous une autre forme juridique que les refus dentrée). La frontière nest pas tombée: elle se transforme, nous ne savons pas encore en quoi exactement. En attendant, les personnes y sont toujours enfermées et leurs droits bien malmenés.</p>
<h3>6 février</h3>
<p>Cest la journée mondiale de Commémoraction des mort·es aux frontières. Une ou deux heures avant laube, une trentaine de personnes se retrouvent devant la porte de la Durance, dans la vieille ville, avec des pierres, du ciment et douze plaques dardoise. Elles vont construire un cairn, un de ces tas de pierres quon construit en haute montagne, pour indiquer les chemins aux voyageur·euses. Sur les douze ardoises, les douze noms des douze personnes mortes en essayant de
traverser cette frontière. Il sagit dun monument non autorisé. Deux heures après sa fabrication, il sera recouvert de fleurs.</p>
<h3>6 février bis</h3>
<p>... ce même jour dhommage aux victimes des frontières, Arnaud Murgia et son copain Renaud Muselier, Président de la Région PACA, ont décidé daller apporter leur soutien à la PAF et aux gendarmes à la frontière. On ne peut pas faire plus clair.</p>
<h3>Mi-février</h3>
<p>Quelquun·e parmi nous a vu Green border dAgnieszka Holland et a compris immédiatement pourquoi tous les films sortis jusque-là sur la frontière briançonnaise<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup> lui ont semblé être des daubes bien fadasses : le film, qui décrit la situation à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie en 2022, donne une place prépondérante à la souffrance des personnes qui traversent la frontière, plutôt quaux paroxysmes dindignation dun kiné briançonnais qui découvre à 38 ans lexistence dune frontière, ou aux envies dhéroïsme dun veuf vieillissant qui pareil comme le kiné, ou aux syllogismes affreusement simplistes dune meuf en galère de thune qui tout pareil comme les deux bolosses précédents. Mais, comme par hasard, ce film non plus ne sera pas programmé dans les deux cinémas briançonnais. Le complot sépaissit.</p>
<h3>20 février</h3>
<p>La mairie de Briançon déclare officiellement que le mémorial aux mort.es des frontières (le cairn dil y a deux brèves) ne peut pas rester où il est. Cest le début dune bataille de communication et dune mobilisation citoyenne pour le protéger. Le monde entier frémit dangoisse: osera-t-il, le maire Murgia, chevaucher la pelleteuse qui rasera ce petit monument haut dun mètre 20 tout habillé?</p>
<h3>1er mars</h3>
<p>Depuis plusieurs semaines les maraudeur·euses constatent que les balisages sont effacés sur les chemins qui relient la frontière à Briançon : écorces darbres arrachées, peinture noire ou tas de pierres recouvrant les balisages, flèches retournées dans les mauvaises directions. Cest peut-être en vue des JO que nos concitoyen·nes sentraînent à battre tous les records de conneries.</p>
<h3>26 mars</h3>
<p>Vers 7 heures du matin, profitant de lheure infâme (on nest pas du matin) et de la météo sibérienne, les agent·es des services techniques de la mairie de Briançon rasent le cairn et enfouissent ses éléments démembrés dans les profondeurs des geôles communales. Dans laprès-midi, six personnes représentantes de plusieurs associations et collectifs briançonnais se rendent à la mairie pour exiger des explications, mais leurs vestes Adidas et leurs bouilles de mal réveillées sèment la panique parmi les employé·es municipales. Deux voitures de la police débarquent en trombe pour sécuriser le bâtiment, en cas dattaque du groupuscule mal fagoté - mais à la rhétorique acérée (ah ça!).
Vers 16h, comme par magie, douze cairns grands et petits repoussent là où le mémorial a été enlevé.</p>
<h3>26-28 mars</h3>
<p>A la demande de lycéen·nes de Briançon, des rencontres sur la situation à la frontière devaient avoir lieu à la Maison des Lycéens. Les intervenant·es, un avocat et des membres de Tous Migrants avaient préalablement été reçu· es par le proviseur. Rencontre cordiale. Dates fixées. Mais voilà que cest remonté aux oreilles des quelque parents pas contents, puis plus haut encore, aux oreilles de la préfecture. Le proviseur se voit contraint dannuler les rencontres.</p>
<h3>29 mars</h3>
<p>En prenant pour prétexte la candidature des Alpes françaises pour lorganisation des JO 2030, le conseil régional de la Région PACA vote une enveloppe dun million deuro par an jusquen 2030 pour participer à renforcer les équipements des forces de lordre dans les territoires al
pins. Les agents de la PAF et les gendarmes vont avoir leurs lots de nouveaux joujoux « adaptés au
terrain de montagne ». Annoncées pour 2025, les patrouilles en luge et les bonnets-pompon à gyrophare bleu.</p>
<h3>30 mars</h3>
<p>Cest lors de lassemblée générale annuelle du Refuge Solidaire que, ni vu ni connu, la mention de «linconditionnalité de laccueil» est retirée des statuts de lassociation. Certain·es dentre nous étaient dans la salle. On na même pas tiqué, comme si ça allait de soi. Sacré symbole quand même.</p>
<h3>25 avril</h3>
<p>La Défenseure des Droits Claire Hédon dénonce des violations « systématiques » des droits des personnes, en particulier des demandeur·euses dasile et des mineur·es isolé·es, à la frontière franco-italienne. Elle épingle aussi des privations de liberté « arbitraires » et « indignes ». Ce sont les résultats de deux ans denquête menée sur les comportements de la police aux frontières à Montgenèvre et Menton. Ça fait plaisir bien sûr. Après, si elle avait passé un coup de fil à Michel, il lui aurait expliqué tout ça en 15-20 minutes.</p>
<h3>15 mai</h3>
<p>Adopté par le Parlement européen, le nouveau « Pacte sur la migration et lasile », qui marque une ultérieure régression des droits fondamentaux des personnes migrantes et exilées. Parmi ses points forts, la généralisation de « lapproche hot-spot », expérimentée depuis 2015 en Grèce et en Italie et constamment dénoncée par les associations, aussi bien que lapplication de procédures administratives de plus en plus expéditives, qui auront pour conséquences le déni du droit dasile et la massification de la détention aux frontières extérieures. La stratégie est claire, et pas nouvelle: la frontière ne tombe pas, mais elle séloigne de nos appartements chauffés et climatisés.</p>
<h3>19 mai</h3>
<p>La fonte des neiges révèle un nouveau cadavre, retrouvé à 2300 mètres daltitude, dans la
Vallée Étroite, tout près de la frontière. Son identité na pas encore été établie, mais plusieurs indices laissent croire quil sagirait dune personne qui essayait de passer sans les fichus papiers. Elle serait donc la treizième victime de cette frontière depuis 2018. Les «tendres preuves du printemps» ont chez nous un sens bien macabre.</p>
<h3>29 mai</h3>
<p>Les rencontres annulées au lycée en mars, ont finalement lieu au détour dun pique-nique hors les murs. Une chaleureuse occasion pour les lycéen·nes de sinformer, de débattre et de refaire une beauté au mémorial qui na de cesse dêtre endommagé par des anonymes fâchés, ptet même facho. Nen déplaise aux parents indignés et à la préfecture, la jeunesse se rebelle !</p>
<h3>18 juin</h3>
<p>Une amie assiste à linterpellation dun passant, dans le centre-ville briançonnais, par la police nationale. Surprise par le ton très agressif des agent.es, lamie intervient : « Vous pourriez lui parler autrement ». « Toi la vielle dégage ! », lui répond un des agents, « Laisse nous faire notre travail ! ». Elle séloigne et prend la scène en photo, quand un autre agent savance vers elle et la saisie par lépaule. Il lui arrache des mains le téléphone, efface les photos et jette lappareil par terre. Pendant ce temps un autre agent demande à notre amie ses papiers, la menaçant dune main
courante. « Mais pourquoi ?? ». «Vous avez résisté quand je vous ai pris le téléphone ».</p>
<h3>18 juin bis</h3>
<p>A la fin de cette interpellation, le «passant» est placé en garde à vue et transféré vers le CRA de Marseille, doù il sera reconduit chez lui quelques jours plus tard, avec une assignation à résidence de 45 jours, renouvelable une fois. Nous comptabilisons depuis septembre six transfert en CRA pour des personnes sans papiers résidentes depuis longtemps à Briançon. Des six transferts, aucun na conduit à une expulsion jusquà présent, heureusement.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Le Pado cest le squat qui a hébergé les gens qui passent la frontière pendant les deux mois de fermeture du Refuge, et qui a continué dhéberger celleux que le Refuge, une fois rouvert, mettait à la porte au bout des trois jours réglementaires de laccueil «inconditionnel» : voir Le Pado, Carnet de bord de Zahra M., dans les pages qui suivent.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>On parle de Les engagés dEmilie Frèche (2002), de Les survivants de Guillaume Renusson (2022) et de La tête froide de Stéphane Marchetti (2024).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
</div>
</div><!-- /.entry-content --> </div><!-- /.entry-content -->
</section> </section>